Syndicalistes tunisiennes en lutte depuis deux ans pour la réintégration des militants syndicaux victimes de l’arbitraire de Latelec Latécoère

vendredi 11 juillet 2014
par  Alger républicain

Travaillant à 90% pour le groupe public Airbus, la succursale tunisienne du groupe français Latelec Latécoère ne tolère pas que les travailleuses réclament leurs droits et le respect de leur dignité.

Face à la répression et à la volonté des patrons de ce groupe de les écraser par tous les moyens, des syndicalistes licenciées ont entamé une grève de la faim depuis le 19 juin. Cette action ultime a pour but de briser le silence médiatique. En France, les syndicalistes CGT de Latécoère et d’Airbus organisent la solidarité.

Sonia est une syndicaliste expérimentée. Elle a le soutien de 90% des ouvriers de son usine. 420 sur les 450 qui sont employés sont syndiqués à UGTT. Ils ont refusé de rentrer dans l’usine quand la direction l’a menacée de licenciement.

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INTERVIEW

Sonia, tu es en grève de la faim avec ta camarade Houda, depuis le 19 juin pour la réintégration des syndicalistes UGTT licenciées, dont tu fais partie. Après une lutte de plus d’un an et demi contre la direction de Latelec, comment en êtes-vous arrivées à cette forme de lutte aujourd’hui ?

Sonia : Latelec du groupe Latécoère, est une société liée à l’aéronautique qui travaille à 90% pour le groupe public français Airbus et à 10% pour Dassault. Elle a été installée en 1988 et a créé un deuxième site en 2005 à Fouchana (Sud de Tunis). J’ai été recrutée à Fouchana en 2006. Cette société demande des compétences : il faut avoir un certain niveau après le bac, maîtriser la langue française, passer des tests de concentration, d’intelligence, etc. Après 6 mois de formation on est recruté sous contrat, avec un salaire de 247 dinars (moins de 150 euros).

Les conditions de travail ont choqué tous les ouvriers : ce sont des conditions terribles, un harcèlement sexuel, des insultes des patrons envers les employés.

On peut être licencié directement en cas de refus d’heures supplémentaires. Même le droit aux congés payés n’est pas respecté : ils n’accordent que 10 jours par an, nous avons droit à 15 jours.

Nous avons pourtant accepté de travailler dans ces conditions temporairement parce que les contrats ne se transforment en CDI qu’après 4 ans et un jour. Dès que la plupart des ouvriers ont été titularisés, nous avons décidé de créer un syndicat UGTT, le 18 mars 2011 précisément (dans le contexte des révoltes qui ont chassé Ben Ali).

D’abord nous avons travaillé sur nos conditions de travail. Nous avons imposé que cessent le harcèlement et les insultes. Ensuite nous avons travaillé sur le problème des heures supplémentaires : nous avons imposé le respect de la loi qui interdit de dépasser 20 heures supplémentaires par mois, alors qu’à Latelec on dépassait largement les 40 heures supplémentaires hebdomadaires, jamais notifiées sur les fiches de salaire. Nous avons obtenu que ces heures soient volontaires, mieux payées, avec des modalités de transport plus faciles quand on rentre chez soi tard. On a travaillé ensuite sur la question des congés. Le paiement des 15 jours de congés par an, comme le dit la loi, a été appliqué finalement, avec un rappel de trois ans. On a travaillé enfin sur les salaires : face à une direction habituée à ne pas respecter le code du travail, on a décidé de créer un projet de qualification professionnelle. La direction a refusé dès le début, et pendant huit mois la négociation a été bloquée. Nous leur avons fait signer un papier sur lequel ils reconnaissent refuser de négocier, puis nous avons menacé d’un préavis de grève. Alors ils ont essayé de gagner du temps par tous les moyens. Le 31 mai 2012, grâce à ce préavis finalement déposé, ils ont accordé une augmentation salariale de plus de 30% pour les salariés.

Pendant ces huit mois de négociation, la direction a d’abord essayé de nous acheter. Ils ont proposé plusieurs postes très importants pour les dirigeants syndicaux. On a tous refusé. Ils ont proposé des augmentations de salaires non déclarées. Personnellement, ils m’ont même proposé une voiture de fonction. Quand ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas nous acheter, ils sont passés aux menaces : menaces de licenciement et même menace de mort …

Ces menaces ont été faites en réunion, sous les yeux du gouverneur, de l’inspection du travail, du syndicat UGTT. Personne n’a réagi chez les officiels, mais nous avons résisté et continué notre lutte pour obtenir cet accord.

Le problème c’est qu’après avoir signé l’accord, celui-ci n’est jamais entré en application. En septembre de la même année, la direction a décidé de fermer l’usine, avec licenciement définitif de tous les ouvriers syndiqués (420 ouvriers UGTT sur 450 en tout). Un deuxième syndicat « maison » a été créé le 17 septembre (25 adhérents), et la direction nous a imposé une nouvelle réunion en leur présence … Toute la direction était présente, avec leurs avocats, et ce deuxième syndicat, créé deux jour avant, pour nous impressionner. Ils ont cherché à nous exclure devant ce deuxième syndicat, nous avons protesté contre cette manœuvre illégale, puisque nous sommes très largement majoritaires. D’accord pour souhaiter la bienvenue à ce nouveau syndicat mais on ne s’efface pas devant lui.

Les avocats ont commencé à mentir en disant que la direction aurait proposé des solutions tout de suite, et que l’UGTT aurait tout refusé pour faire durer le conflit. C’est le lendemain de cette réunion que nous avons trouvé l’usine fermée avec 450 ouvriers devant la grille. Un panneau annonçait : « suite à des incidents grave, notamment la séquestration de la direction par l’UGTT, l’usine est fermée jusqu’à nouvel ordre ».

Face à l’inspection du travail, la direction a notifié qu’elle accepte d’ouvrir les portes de l’usine à condition que tous les dirigeants UGTT soient licenciés sur le champ. Face au refus majoritaire, la direction a persisté en imposant le licenciement d’au moins 4 dirigeants UGTT, dont moi-même, secrétaire générale. A la troisième réunion, ils sont passé à deux dirigeantes, Monia et moi-même.

A l’ouverture de l’usine, les 420 ouvriers UGTT refusent d’entrer si les dirigeantes ne sont pas réintégrées. Tout ça a duré presque un mois. La direction française Latécoère a dû venir pour trouver une solution au conflit, et un accord a été trouvé avec la réintégration des dirigeants UGTT. Mais ensuite et malgré la signature officielle, l’accord n’a pas été respecté, la direction prétextant qu’elle avait été en mise physiquement en danger par les deux dirigeants UGTT lors de la réunion de mai, menaçant même de porter plainte !

Finalement, ils ont obtenu, devant le refus de tous les ouvriers de revenir à l’usine sans nous, que les portes soient rouvertes, et que nous soyons réintégrées mais après un mois de congés payés, histoire de laisser les choses s’apaiser avec la direction.

Pendant cette période, les ouvriers ont donc repris le travail, alors que la direction prétextant une sous-production qui rendant légaux des licenciements économiques, ont arrêté 220 intérimaires, et imposé aux CDI restant d’aller travailler sur l’autre site de production. Ceux des CDI qui ne voulaient pas partir ont été menacés de licenciement.

Aujourd’hui le site de Fouchana est donc vide, et les sept ouvrières au chômage technique pour cause de refus de quitter le site fermé ont été licenciées pour cause de « refus de travail », alors qu’elles ont été mises en chômage technique volontairement.

Lors du conseil de discipline visant ? officialiser le licenciement cette année, on nous a demandé d’expliquer pourquoi nous avons empêché plus de 400 ouvriers d’entrer dans l’usine. Imaginez comment Monia et moi aurions nous pu empêcher l’entrée à 420 personnes ! Pour la question de la « séquestration », ils nous disent : « vous pouvez nier, c’est notre parole contre la votre ! » D’autres ouvriers ont été licenciés en même temps pour avoir manifesté contre la direction, à cause du « préjudice pour l’image de la marque » !

Monia : Après notre licenciement, des comités de soutien ont été créés à Paris et Toulouse notamment (siège de Latécoère). Ces syndicalistes, en particulier CGT Airbus, CGT Latécoère, et ces militants ont essayé de médiatiser notre cause en France, et aussi dans les autres filiales du groupe, au Brésil par exemple.

En insistant sur le fait que la stratégie de répression syndicale en Tunisie impliquait une oppression plus forte sur les ouvriers français du même groupe pour maintenir la production malgré les événements. Il y a eu une grève simultanée sur tous les sites internationaux de Latécoère.

On a aussi envoyé plus de 6000 cartes postales au président François Hollande. Absolument aucune réponse … L’État français est pourtant actionnaire principal d’Airbus et aurait des moyens d’action sur Latécoère.

Aujourd’hui, notre dernier moyen de lutte pour notre réintégration et notre droit à travailler, est la grève de la faim. C’est une solution très grave mais après 10 jours de grève de faim, la direction de l’UGTT s’est sérieusement penchée sur notre droit à la réintégration. Elle a entamé des négociations en haut lieu avec les patrons.

C.P.
08.07.14