Accueil > Hommages > Hommage aux amis et aux camarades disparus > Le combat de Djamila Danièle Amrane Minne pour la libération de l’Algérie
Le combat de Djamila Danièle Amrane Minne pour la libération de l’Algérie
mardi 14 février 2017, par
Pour rappeler l’action et le combat qu’a mené Djamila Danièle Amrane Minne, nous publiions ci-après, un extrait du livre de Mme Dore-Audibert* où elle parle de l’action des maquisardes et notamment le passage qui retrace l’action de cette courageuse et lumineuse résistante durant la guerre de libération nationale alors qu’elle était encore mineure et avait décidé de s’engager pour la libération du pays qu’elle avait adopté comme sien.
Alger républicain
14.02.17
.
Française, arrive en Algérie avec ses parents. Fille de Jacqueline Guerroudj. Condamnée le 4 décembre 1957 à 7 ans de prison par le tribunal des Mineurs.
« A Ain-Fezza, le village où ma mère enseignait
j’ai côtoyé la terrible misère des paysans Algériens. »Danièle Minne
.
Née en France le 13 août 1939 à Neuilly-sur-Seine, Danièle arrive en Algérie à l’âge de 8 ans avec ses parents enseignants.
Le père, Pierre Minne [1] fonctionnaire de l’Éducation nationale est professeur de philosophie au collège de Slane à Tlemcen. Marxiste militant, il organise dans chacun de ses postes, de cercles de philosophie marxiste et est systématiquement expulsé des divers territoires coloniaux où il exerce : Sénégal en 1946. Algérie en 1957 puis Guyane. Sa mère, Jacqueline Netter fait de son métier d’institutrice de village un sacerdoce.
Le remariage de ma mère en 1950 avec Djilali Guerroudj m’a ancrée plus profondément dans la réalité algérienne. Les influences de mon père, ma mère et beau-père conjuguées, m’ont très tôt sensibilisée aux problèmes sociaux. A Aïn Fezza le village où ma mère enseignait, je côtoyais la terrible misère des paysans algériens.
A Tlemcen chez les Guerroudj, famille aux vieilles traditions citadines, on survivait aux limites de la pauvreté. Ma mère et mon beau-père tous deux militants actifs au PCA mettaient l’accent sur cette insoutenable disparité des niveaux de vie du monde colonial.
Dans mon adolescence, je me souviens des enfants de la classe de ma mère qui venaient à l’école pieds nus avec pour leur repas de midi, un bout de pain, souvent dur, un oignon et quelques figues.
Tout en allant au lycée de Tlemcen, Danièle habite durant toutes ses études à la campagne, en milieu algérien auprès de sa mère à Ain Fezza.
Au collège mixte de Slane [2] on admet les filles qui font latin-grec, les autres vont dans un établissement de filles. Il y a beaucoup d’Algériens de Tlemcen, des juifs, moins d’Européens car la population européenne est peu nombreuse à la différence d’une ville comme Oran. On y parle de la « Main Rouge », une organisation qui se trouve au Maroc et qui préfigure l’OAS.
Au collège de Slane, il n’y avait aucun problème entre les groupes juifs, Français, Algériens, je n’ai jamais entendu de réflexions racistes.
Elle poursuit ses études dans ce lycée jusqu’en seconde en avril 1955, date à laquelle sa mère et son beau-père sont expulsés d’Algérie.
La famille revient à Alger en janvier 1956 en pleine guerre.
A Alger je découvre au lycée de Maison-Carrée, le racisme, il n’y avait presque pas d’Algériennes, une dizaine. Un car amenait les filles de colons de la Mitidja. C’est là que j’ai pris conscience de la rupture entre les communautés, il y avait beaucoup de haine, de violence ; on ressentait la guerre, on était en situation de conflit permanent.
Lorsqu’il y eut la grève des étudiants pour le ralliement au FLN en mai 56, j’étais la seule au lycée, parce que, issue d’un milieu communiste politisé, à faire grève. A ma connaissance, les rares Algériennes du lycée ne l’ont pas faite. Je ne suis plus retournée au lycée. J’ai arrêté mes études au premier bac en première et j’ai décidé de m’engager.Djilali m’a demandé d’apporter des papiers à Tlemcen, j’y suis donc allée, j’ai commencé à militer. Je travaillais pour payer ma cotisation au FLN.
Dès ma première opération, j’avais fait le guet pendant qu’un militant sectionnait des câbles téléphoniques, le groupe auquel j’appartenais a été aussitôt démantelé. Le lendemain, nous avons appris par la radio que le responsable de mon groupe avait été arrêté et mes parents m’ont amenée chez une tante hospitalisée dans une clinique d’Alger et ont demandé à Areski Bennaceur de me récupérer.
Recherchée, j’ai vécu clandestinement de novembre 56 à janvier 57 chez Areski Ben Naceur dit Tewfik, un des responsables de la zone autonome d’Alger.
Ce Tewfik est perçu par tous et toutes comme un homme exceptionnel qui suscite l’admiration.
« Un de mes fils, dira Jacqueline Guerroudj, porte le prénom de Tewfik. Cet homme remarquable était notre responsable FLN. Nos rapports avec lui étaient confiants et amicaux. Lorsque nous étions en passe d’être arrêtés et que notre fille aînée Djamila (Danièle Minne) a été recherchée, c’est lui qui l’a abritée, s’est occupé de sa sécurité, l’a fait monter au maquis. C’est une figure inoubliable. »
Danièle sort 4 ou 5 fois durant cette période pour effectuer des transports d’armes et Tewfik lui fait préparer son bac « que je devrais passer disait-il en session spéciale à l’indépendance ». Indépendance qu’il ne verra jamais, il devait être tué quelques mois avant, après avoir été torturé pendant deux mois.
Ce marchand de légumes, œufs et poules, de la rue Saint Augustin près de la Casbah, autodidacte, intimidait par ses connaissances la clientèle européenne. Il laisse un souvenir inoubliable à celles qui l’ont connu.
Lors de « La Bataille d’Alger » de janvier à septembre 1957, le couvre-feu est instauré, les arrestations se multiplient et la torture est banalisée. Les résistants sont paralysés par l’armée. La relève est assurée par les femmes qui se fondent dans la population et peuvent circuler plus facilement. Elles participent directement aux actions armées ; les deux tiers des dépôts de bombes ont été effectués par des fidayate.
Le maquis (février - novembre 57)
Les militants qui étaient mes camarades ayant été soit tués, soit arrêtés ou obligés de se disperser, pendant la grève des huit jours décrétée par le FLN [3] (qui entendait convaincre l’ONU du soutien du peuple algérien pour terminer la guerre par l’indépendance) j’ai pris le maquis en Kabylie au moment où le couvre-feu était imposé et où les arrestations se multipliaient. Avec Baya, une infirmière maquisarde nous soignions les blessés, et surtout les femmes et les enfants des villages, j’ai vu des blessés brûlés au napalm lors de l’incendie de la forêt de la Mizrana près de Dellys.
Lors des ratissages, les soldats français cassaient tout, regroupaient les rares hommes qui restaient pour les emmener. Ils ont un jour trouvé un enfant ayant des traces de mercurochrome. Toutes les femmes, tous les enfants ont été rassemblés dans une maison, ils ont pris une jeune fille qui avait protesté contre leur violence ainsi que deux adolescents, les ont torturés dans une pièce à côté de nous, leur demandant où étaient les infirmières. Nous entendions leurs cris de douleur, mais personne n’a rien dit.
En 1957 j’étais au maquis de Kabylie près de Dellys, les maquisards vivaient avec la population, dans les villages il n’y avait pas énormément de blessés, les marches étaient organisées la nuit, la journée on devait s’occuper des femmes et des enfants mais tous les soirs on se déplaçait avec les maquisards pour ne pas se faire repérer, on circulait beaucoup, on n’avait pas de point fixe à un endroit donné car les militaires français surveillaient et avaient des indicateurs.
On restait au maximum deux ou trois jours, on couchait dans les villages. Les infirmières se déplaçaient le jour avec un guide pour donner des soins mais les maquisards ne marchaient que la nuit. Nous allions avec eux, la nuit on marchait 4 à 5 heures, parfois plus longtemps. Pour avoir des médicaments, on envoyait des listes à des pharmaciens qui nous les fournissaient, ensuite l’armée a contrôlé les pharmaciens et nous n’avons plus rien obtenu sauf ce qui arrivait de 1’ extérieur.
Tout est devenu plus difficile en 58.
Si dans la première période du maquis comme le précise Danièle Minne, l’ambiance est sympathique, égalitariste, sans problèmes particuliers en dehors de la dureté de la vie quotidienne qui est la même pour tous et toutes, la période qui commence en 1958 devient plus dure. Les villageois sont rassemblés dans des « villages de regroupement » ; « les zones interdites » sont bombardées, les barrages électrifiés le long des frontières rendent le passage difficile. Nombreuses sont les maquisardes qui périrent aux frontières.
Les instances politiques du FLN-ALN décident que les femmes devront partir pour la Tunisie et le Maroc.
J’ai fait partie du dernier convoi en novembre 1957 vers la Tunisie avec Louisa Attouche une infirmière, Mustapha Laliam, Nefissa Hamoud, premier médecin algérien à s’engager dans le maquis et Raymonde Peschard.
Avec quelques étudiants et militaires nous formions un groupe d’une vingtaine de personnes. Hébergées dans un petit village près de Mejdana, nous avons été réveillées brutalement à l’aube du 26 novembre 1957. Une opération sur renseignements était lancée et nous étions encerclés, les maquisards ont essayé de riposter mais leur puissance de tir était insuffisante, les militaires étaient partout. Nous nous sommes scindés en deux groupes et je me suis retrouvée tapie sur le sol à mi-flanc de la montagne, immobilisée par les tirs avec Néfissa, Louisa, Mustapha Laliam et sept maquisards dont trois appartenaient au service sanitaire et n’étaient pas vraiment armés.
Si Areski [4] a été tué, nous, nous ne bougions plus cachés dans le sous-bois. Tout près de moi, Si Moh un étudiant en mathématiques faisant office d’infirmier a été blessé, il devait mourir peu après. Nous l’entendions gémir sans pouvoir le secourir. Un harki criait en arabe dans un porte-voix, en demandant aux blessés d’appeler pour qu’ils aillent les soigner. Les cris de douleur de Si Moh leur permettaient de mieux diriger leur tir. C’est à ce moment-là que le Dr Mustapha Laliam, responsable de notre groupe a pris la décision de la reddition. Raymonde Peschard était avec l’autre groupe. Il y avait avec nous un vieux maquisard, ancien bandit d’honneur, Si Boudjema [5], qui pleurait de honte et disait ne s’être rendu qu’à cause de la présence des quatre maquisardes. Les jeunes militaires français qui nous ont arrêtées étaient très étonnés de découvrir qu’il y avait au maquis des médecins, des infirmières, des étudiants, qui parlaient le français et pouvaient communiquer avec eux.
La nuit qui a suivi notre arrestation, les soldats français, cantonnés dans la caserne où nous étions enfermés, ont manifesté leur désarroi en réclamant « la quille ».
Nous n’avons jamais su exactement quelles pertes nous avions subies A la caserne, j’ai dû identifier le corps de Raymonde Peschard, qui avait sans doute été tuée lors de l’accrochage. Les soldats maquisards arrêtés avec nous ont vraisemblablement été fusillés, ils ont été éloignés de nous, nous avons entendu des coups de feu et nous ne les avons plus jamais revus.
Arrestation
Parce que recherchée, Danièle est transférée à Alger au Casino de la corniche devenu un centre militaire d’interrogatoires « où l’on repêchait les corps parce que les corps étaient rejetés par la mer » (Jacqueline Guerroudj).
« Là j’ai vu des traces de tortures sur les résistants arrêtés et j’ai entendu les cris des suppliciés » (D.M.).
Elle reçoit la visite d’un responsable de la DST et du capitaine Faulques qui dirent au sujet de l’extraordinaire résistance de Tewfik « Il avait une croix dans la bouche ».
J’avais terriblement peur d’être torturée, je ne l’ai pas été grâce aux interventions de Mes Michel Bruguier et Stibbe, amis de mes parents, et des militants de leur groupe, (Yahia Briki, Abderrahmane Taleb, Jean Farrugia, Georges Marcelli, Jacques Salort) qui devaient passer en justice et avaient prévenu qu’ils refuseraient de répondre tant que je ne serai pas traduite devant la justice.
[(Le matin de leur procès le 4 décembre 1957, elle est déférée au tribunal, incarcérée, condamnée à 7 ans.)]
Les prisons à 18 ans
La prison est peut-être plus dure pour les jeunes. C’est sans doute parce que notre personnalité n’est pas encore bien formée.
La prison est une dure école d’apprentissage de la vie en collectivité et de tolérance. C’est aussi une vie artificielle et le rêve, surtout chez les plus jeunes, se substitue à la réalité. En prison nous écrivions des poèmes pour exprimer notre souffrance et nos regrets. C’était notre façon de nous exprimer dans la solitude.
Je me souviens de la prison de Toulon où le directeur nous laissait tranquilles. Ce qui était dur, c’est que nous étions isolées alors qu’à Maison-Carrée nous étions tout le temps ensemble. Je montais à la fenêtre et en bas je voyais des gitans. Lorsqu’un prisonnier regarde à 1’ extérieur il fait des signes aux passants qui refusent de les voir, ils cachent les yeux de leurs enfants pour qu’ils ne nous voient pas et ils baissent la tête. Les seuls qui nous souriaient tous les jours étaient les gitans qui nous montraient leurs enfants. Puis je suis allée à Toulouse et Pau.
Incarcérée à la prison de Pau où elle a préparé l’examen d’entrée à l’université, elle devra aller ensuite à la prison de Bordeaux. La prison se situe dans le fort de Hâ près de Bordeaux où l’on a interné durant la guerre de 1940, les résistants français et, bien avant, l’Émir Abd El Kader.
C’était une prison affreuse, j’y suis allée pour passer l’examen d’entrée à l’université en mai 1961. Le directeur arrivait d’une autre prison où il avait eu de grandes difficultés avec les détenus politiques algériens. Il m’a reçue avec un énorme chien, m’a retiré toutes mes affaires, m’a mise dans une cellule vide. C’est dans cette prison que j’ai le plus paniqué. J’étais seule ; je craignais qu’on ne m’empêche de passer mon examen. Il n’y avait que des « droits communs » Lorsqu’ elles ont su que j’étais là, elles m’ont envoyé des petits mots gentils. J’ai écrit à mon père qui est venu tout de suite et je crois que c’est pour cela que le directeur s’est calmé.
Libération-1962
J’ai été libérée après le cessez-le-feu en avril 1962 à Rennes avec ma mère. Comme nous étions Françaises, nous avons été libérées plus tardivement.
Toutes les libérées ont été prises en charge par la Fédération de France qui avait le souci de les renvoyer rapidement en Algérie, sans qu’elles ne transitent trop longtemps par la France.
Je suis allée chez mes grands-parents, ensuite voir mon père dans le sud de la France. Puis je suis retournée en Algérie et comme j’avais préparé l’examen de propédeutique en prison je me suis présentée à la session de septembre à Caen. L’université d’Alger étant fermée, je me suis inscrite comme beaucoup de Tlemcéniens à l’Université de Toulouse. Je suis retournée en Algérie en janvier 1963 lorsque l’université a été réouverte.
J’ai arrêté de militer à ma sortie de prison. Je n’ai jamais plus adhéré à aucun parti, ni PCA, ni FLN, ni autre après l’indépendance.Du maquis, j’ai connu la période la plus favorable, après les moments difficiles de l’implantation et avant les grandes opérations et l’extension des zones interdites. Les quatre années de prison ont renforcé ma tendance à l’idéalisation.
A la libération, le choc a été rude, les purges au maquis, les luttes pour le pouvoir sont difficiles à accepter. Difficile aussi de surmonter la douleur en apprenant la mort de presque tous les résistants connus pendant la guerre. Il y avait toutefois un immense espoir et un élan populaire qui laissaient croire que tout était possible.
J’ai pris la nationalité algérienne et depuis j’ai toujours vécu en Algérie.
Et maintenant
Trente ans après l’indépendance, nous vivons tristement. Peut-être est-il encore possible d’espérer que le combat des intégristes musulmans algériens ne sera que le dernier sursaut de l’obscurantisme contre une société en marche vers la modernité (interview Paris fin 1993).
.
* In : "Des Françaises d’Algérie dans la guerre de libération" d’Andrée Dore-Audibert, Editions KARTHALA, pp. 158 à 165
[1] S’inscrivant également dans la mouvance surréaliste, s’est opposé au groupe qui séparait l’art du politique.
[2] Premier traducteur de de Ibn Khaldoun.
[3] 28 janvier- 4 mars 1957 en pleine session de l’ONU.
[4] Un maquisard.
[5] Ayant pris le maquis depuis 1945