En guise d’hommage à notre ami et militant de l’ex-Pags clandestin, Maachi Chaïb

lundi 16 décembre 2019
par  Alger republicain

Ses compagnons et amis les plus proches ont apporté leurs témoignages sur son parcours exceptionnel, publiés sur leurs pages face-book dont voici quelques extraits :

Djamel Laroussi

« Maachi Chaib, toujours à l’avant garde de tous ces combats. Culture, citoyenneté, combat sont significatifs chez Chaib l’ami, le frère, le camarade qui incarne une vie pleine d’engagement. Il parla de syndicalisme, de socialisme, des droits de l’homme, de ciné-club à coté de Missoum Boumediene, ELLAH YERAHMO, marche des travailleurs en 1976 suite à la grève de l’ETRATIA (entreprise travaux de la wilaya de Tiaret) en passant par toutes les luttes de la paysannerie, de l’interdit professionnel …

Chaib l’élu dans l’APC des années 80, n’a jamais profité de son statut pour s’enrichir malgré qu’il était chômeur. Ses luttes dans le cadre de l’UNJA, qu’ont formé des militants combatifs, que leurs actions dépassaient le cadre local. Nationalement connu pour ses luttes surtout à l’époque du commandant Naceur commissaire du parti du FLN, ce féodal qui a voulu faire de la vie politique à Tiaret sa chose privé, la période où on a connu intimidations, arrestations, licenciements, l’article 120 n’a pas empêché Chaib, d’être toujours à l’avant garde de tous ces combats… »

Miloud Zaater

« En hommage à mon ami et camarade Maachi Chaib, un extrait de mon livre ’Les barbelés de la mémoire’ paru en 2017 chez l’Harmattan qui lui a été consacré (pages 51-54). Je l’avais rencontré en 2015 à Tiaret après mon retour d’une longue absence forcée. Il luttait déjà contre la maladie avec un courage hors normes. Ici Chaib est désigné par le pseudonyme Chakib… »
« Icône en danger
Les nouvelles de Chakib, un vieux compagnon de route ne sont pas très rassurantes. Il est très fatigué. Il lutte, toujours avec courage, mais cette fois contre un mal qui le ronge inexorablement. Faute de tomber dans les rets du terrorisme, beaucoup d’amis ont été rattrapés par la maladie : dépressions destructrices, crises cardiaques, affections incurables… »

« Tout naturellement, ma première visite amicale lui est réservée. ziarate el maridh (la visite aux malades) est une des rares valeurs positives qui perdure dans une société ayant égaré nombre de ses repères. Chakib m’accueille à l’entrée de son domicile. Très amaigri, il n’a pas perdu une once de son charme avec son malicieux sourire souligné par une fine moustache méticuleusement taillée. On se jette dans les bras l’un de l’autre. Un moment aussi émouvant qu’éprouvant. Fidèle à sa réputation de « concocteur » de surprises en tous genres, Chakib m’en a réservé une bien bonne : une dizaine d’ami(e)s étaient déjà là autour d’une tablée copieusement achalandée… »

« Chakib est notre icône, notre mascotte. Il a été de tous les combats : grèves, marches, sit-in, manifestations, grèves de la faim, émeutes … »

« C’est un militant à l’ancienne, toujours sur une barricade traversant ainsi un demi-siècle de la chronique régionale au cœur des luttes aux côtés des plus défavorisés de la société : ouvriers, chômeurs, paysans pauvres, jeunes paumés des quartiers… C’est le monde de Chakib. Au pays du culte des saints, ses concitoyens se pressent pour le voir à la moindre difficulté ou la moindre inquiétude. C’est le Saint laïc. Un peu le paratonnerre social qui attire toutes les foudres, toutes les colères, individuelles ou collectives qui s’abattent sur sa ville. Et neuf fois sur dix, il arrive à trouver une issue positive… »

« Avec sa capacité de désarmer l’adversaire avec un mot bien senti, une anecdote amusante, un petit sourire taquin, ou une tape dans le dos. Du culot à toute épreuve couplé à un incroyable don de se faire accepter. Par tous. Et partout.
Il aurait sûrement fait un diplomate hors pair mais il a choisi un chemin bien plus difficile. Celui de se rebeller contre toutes les misères. Celui de s’indigner en permanence contre toutes les injustices… »

« A l’aise dans tous les milieux, Chakib est un des rares sinon le seul, à pouvoir dialoguer avec tous, même ceux qu’il combat sans concessions : patron véreux, bureaucrate zélé, responsable corrompu, gros propriétaire foncier polygame ou apparatchik du FLN, le parti unique… Ouvert sur les autres mais ferme sur ses convictions ancrées à gauche, il était intrinsèquement un constructeur de ponts. Un casseur de murs… »

« Forcément, Chakib s’est imposé comme l’homme des missions impossibles. C’est d’ailleurs l’un des seuls responsables de l’organisation clandestine locale qui avait le droit de militer à visage découvert. Un pied dans la clandestinité et un autre dans la légalité. Il faut être Chakib pour le faire. De cette expérience un peu hybride, il fût un conseiller municipal tellement apprécié que la population lui donnait à tout bout de champ du Si el Mir (Monsieur le Maire). Il n’était pas loin de l’usurpation de fonction pour le premier des édiles qui s’en offusquait et venait régulièrement se plaindre auprès de nous. Comme tous les autres, Chakib a connu de longues traversées du désert : chômage imposé, campagnes d’isolement et de déstabilisation, intimidations et pressions et parfois arrestations… »

« C’était le prix de l’engagement : clandestinité, répression du pouvoir, violence islamiste et au bout la mort pour certains ou l’exil forcé pour les plus chanceux… »

« Bien loin de là, les épreuves, la maladie et le temps n’ont en rien entamé les convictions de Chakib. Il continue à militer pour ses idées. Pour l’avènement d’un monde plus libre et plus juste. Et surtout à se battre pour les autres. Pour les laissés pour compte dans la pure tradition politico-syndicale qui distinguait l’organisation clandestine locale des structures des autres régions. Je me rappelle encore avec amusement de notre scepticisme à l’égard de nos camarades et souvent amis « salonards algérois », promoteurs d’une modernité abandonnant le petit peuple sur le bord du chemin.

N’ayant pas trouvé de compromis positif, ce clivage finira par fracturer notre mouvement politique tout juste sorti à la légalité. C’est en 1991, quelques mois après le premier congrès tenu après un quart de siècle de clandestinité, que notre décision fut prise : partir collectivement mais sans haine, sans déchirures. Partir avec dignité, en toute discrétion par respect aux années de luttes communes et d’épreuves partagées.

Avant de quitter le navire, nous ne manquerons pas de faire défiler plus de 4000 petits paysans locaux pauvres parmi les pauvres mobilisés pour des conditions de vie et de travail plus convenables. C’était un peu notre baroud d’honneur. Notre dernier tour de piste. Ce qui mettra en colère, le grand patron de notre parti qui ne verra dans cette manifestation qu’une preuve supplémentaire de nos archaïsmes.

D’autres régions suivent notre exemple. Peu à peu, le parti se vida de ses militants et sympathisants, victime de ses contradictions idéologiques, des infiltrations policières et des manipulations du pouvoir. En janvier 1993, le parti convoqua un congrès où il décida de son autodissolution… »

« Pour nous, l’engagement continuera dans les syndicats, les associations ou le journalisme d’opinion… »

« Pour lui, militer c’est comme respirer. Il continue à le faire en gardant ce sens inné de l’humour qui, sûrement, lui permet aussi de tenir et d’avancer avec la même dignité et la même humanité face aux tempêtes qui balayent l’Algérie. »

Djilali Mohamedi

« très triste et peiné d’annoncer le décès d’un de mes plus chers amis et camarades Chaib Maachi décédé ce jeudi 5 décembre à l’âge de 69 ans. raconter 50 ans d’amitié, de camaraderie et de luttes communes sera peut être énorme mais je m’efforcerais d’aller vers l’essentiel et de contribuer à faire connaitre ce que Chaib a marqué de son empreinte durant sa longue vie de militant pour l’épanouissement et l’émancipation de notre peuple, pour l’avènement de la démocratie, les libertés et le progrès social.

Passionné de cinéma, de musique et de lecture, Chaib débute sa carrière d’activiste dans l’animation cinématographique et trouva dans la mise en place du Ciné-Club en 1969, le vivier d’un pan de la culture et une bouffée d’oxygène pour la liberté d’expression et le débat d’idées. IL intègre ensuite la JFLN qui deviendra en 1975 l’UNJA qui remet de plus en plus en cause sa caporalisation par le Parti unique, d’importantes luttes sont menées par les jeunes et Chaib y contribua activement à faire valoir ces idées pour une organisation représentative et démocratique. II est élu au conseil national lors du premier congres constitutif en 1978 et deviendra aussi Secrétaire général de l’Union de wilaya UNJA jusqu’à vers les années 8O qui marque l’arrêt d’une organisation véritablement démocratique et patriotique à la suite de confrontations avec le FLN. Chaib fut parti prenante aussi du mouvement syndical à Tiaret qu’il a marqué de son empreinte par l’organisation et l’élévation du niveau de conscience des travailleurs à s’organiser pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Il fut avec Mohamed Medioni à casser le tabou d’un syndicat maison, caporalisé aux ordres du parti unique en organisant la première grève des travailleurs du bâtiment à l’ETRATIA en I978, inaugurant ainsi le cycle de la contestation et de la revendication pour les droits des travailleurs. D’autres grèves suivront à l’OAIC, la SEMPAC, la SONITEX, forgeant ainsi un mouvement ouvrier jusque là timide, inorganisé et mal représenté. Consacrant toute sa vie de militant à faire émerger des hommes et des femmes disponibles à s’organiser pour mener les luttes des différentes couches de la population pour l’amélioration de leurs conditions de vie.

Je ne manquerais pas de souligner que Chaib fut un des principaux dirigeants du PAGS dans la région de Tiaret et fut membre du bureau fédéral dès la sortie de clandestinité du parti. Chaib jouera aussi un rôle prépondérant dans le combat contre l’intégrisme et la mise en échec de la désobéissance civile prôné par le FIS avec des camarades et des syndicalistes à mobiliser les travailleurs pour rester dans leurs postes de travail dans la zone industrielle. Je pense avoir dit peu sur un camarade qui m’est très cher avec qui j’ai partagé des moments difficiles, mais aussi des moments agréables, des luttes consacrées entièrement pour la patrie. J’appelle les camarades à compléter ce récit, à rendre riche la biographie de notre camarade. Je terminerai en ayant une pensée à notre camarade Lalia épouse de Chaib, ses enfants et ses proches. »

Il faudra ajouter à ces témoignages poignants retraçant avec fidélité le parcours militant et la personnalité exceptionnelle de Chaîb très apprécié par tous ceux qui l’on connu, que c’est un lecteur assidu du journal Alger-Républicain qu’il diffusait d’ailleurs régulièrement et marquera de sa solidarité. Peu de temps avant sa disparition et lors d’une visite que je le lui rendu alors qu’il était alité et diminué physiquement, il me montrait une pancarte qu’il avait préparée pour dénoncer l’étouffement du journal Alger-Rep par le régime en le privant de publicité et qu’il comptait exhiber dans les manifestations hebdomadaires du Hirak.

Hommage à notre ami défunt Chaïb en adressant nos sincères condoléances à son épouse Allia, à ses enfants et proches et qu’ils trouvent ici toute notre compassion et solidarité. Paix à son âme.

M.A