Fadwa Barghouti « Depuis vingt ans, les Palestiniens rêvent de paix »

lundi 19 août 2013

Pour l’épouse et avocate du député palestinien Marwan Barghouti, enfermé depuis plus de ?dix ans, la libération des prisonniers ?est une condition ?non négociable sur ?le chemin de la paix, que l’État Israélien ?n’a de cesse de barrer.

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La libération des prisonniers palestiniens constitue-t-elle, selon vous, un premier pas vers la paix

Fadwa Barghouti. Ce serait une grande faute si les Palestiniens acceptaient une négociation avec les Israéliens sans avoir obtenu la liberté de leurs prisonniers. En Afrique du Sud, en Irlande du Nord, tous les peuples qui ont eu à mener les mêmes combats que nous, avant de signer un accord, ont obtenu une telle libération. Nous avons fait une très grave erreur lors de la signature des accords d’Oslo, la question des prisonniers n’a pas été abordée et, de ce fait, nous avons, aujourd’hui encore, 107 personnes toujours enfermées et ce bien avant cette date. Les responsables palestiniens ont à présent conscience qu’il ne faut pas aller vers des négociations si ces 107 prisonniers et les grands leaders du peuple palestinien emprisonnés ne sont pas libérés.

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Quelle ampleur a prise cette question dans la société palestinienne ?

Fadwa Barghouti. Nous, Palestiniens, pensons que cette question est politique à 100%. Tout simplement parce que ces prisonniers ont combattu l’occupation. Mais au-delà de cet aspect politique, existe aussi une dimension humanitaire. Ces prisonniers sont comme nous tous. Ils ont un père, une mère, des frères, des sœurs… Des centaines d’entre eux, notamment parmi ceux en prison bien avant les accords d’Oslo, ont perdu quelqu’un de proche alors qu’ils étaient enfermés. L’accès aux droits les plus fondamentaux leur est refusé. La liberté, bien sûr. Mais aussi le droit de voir leur famille, de rester en contact avec leurs proches par téléphone, de poursuivre leurs études en prison, d’accéder à des médicaments et à des médecins… Tout cela leur est interdit. Il est absolument nécessaire de se battre pour leurs droits, leur dignité à l’intérieur des prisons.

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Quel regard portez-vous sur les démarches entreprises en direction de Mahmoud Abbas et de Benyamin Netanyahou par le secrétaire ?d’État américain, John Kerry ??

Fadwa Barghouti. Depuis vingt ans, les Palestiniens font un rêve de paix. Et depuis vingt ans, nous négocions pour la création d’un État palestinien. Nous avons cru en ce processus de paix. Mais les Israéliens en ont profité pour accroître encore la colonisation. Ils essaient de changer la géographie du territoire en tentant d’obtenir une majorité juive à Jérusalem, en construisant des colonies, en isolant les villes palestiniennes… Parce que, ainsi, s’ils s’assoient un jour à la table des négociations, ils y siégeront en position de force. Désormais, les Palestiniens ont conscience qu’ils n’en ont pas fini avec les souffrances de l’occupation et ne sont plus convaincus par ce processus de paix qui se présente comme un couvercle posé sur la question de la colonisation. Est-il normal que les Américains, au bout de vingt ans, ne parviennent pas à obtenir une seule avancée des Israéliens. Durant toute ces années, Israël a refusé la libération des prisonniers, chaque fois armé de nouveaux prétextes et allant jusqu’à créer des catégories de dangerosité parmi ces prisonniers. Par contre, pour un soldat israélien détenu par des Palestiniens, ils ont accepté de libérer 1500 prisonniers. Ce que les Palestiniens attendent aujourd’hui, quelle que soit l’initiative, américaine ou autre, c’est d’être enfin indépendants et d’en finir avec l’occupation.

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Marwan Barghouti est souvent qualifié de Mandela palestinien, on sait l’importance de la mobilisation internationale à cette époque. Quel rôle peut jouer aujourd’hui l’opinion publique dans le combat que vous menez ?

Fadwa Barghouti. Quand Israël l’a enfermé, les autorités pensaient que cela resterait une affaire interne, israélo-palestinienne. Mais avec les campagnes que nous avons menées, Marwan est devenu une personnalité qui symbolise la Palestine pour beaucoup de monde. Même si la campagne pour sa libération n’est pas diffusée partout, de plus en plus de personnes connaissent sa situation et, à travers elle, la cause palestinienne. De plus, quand les Palestiniens constatent que leur cause est soutenue à travers le monde, cette solidarité leur donne beaucoup de courage pour poursuivre la lutte.

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Marwan Barghouti n’est-il pas le symbole d’une cause plus grande que sa propre libération ?

Fadwa Barghouti. Chaque prisonnier est un symbole de la résistance. Marwan est devenu un tel symbole qu’il est ainsi plus facile d’expliquer aux nouvelles générations le combat que nous menons. De 1967 à nos jours, il n’y avait jamais eu de prisonnier à la popularité aussi importante que la sienne. Celle-ci ne résulte pas du fait qu’il est enfermé, mais du fait que les gens ont besoin de lui hors de prison. Pourtant, malgré sa onzième année de détention, il n’a jamais fait de promesses aux Palestiniens.

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Justement, il est en prison depuis plus de dix ans, comment entretenez-vous l’espoir ?

Fadwa Barghouti. Nous pensons à notre objectif, un État palestinien. Notre ressource, c’est le peuple palestinien, qui est extraordinaire et qui mérite tous les sacrifices. Nous puisons également des forces au sein de notre famille et auprès de nos amis du monde entier qui nous soutiennent. Sans espoir, je ne serais pas là aujourd’hui.

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Vous serez l’invitée d’honneur de la Fête de l’Humanité en septembre, alors que se prépare en France une nouvelle campagne pour la libération de Marwan Barghouti. quel sera votre message à cette occasion ?

Fadwa Barghouti. Je suis l’invitée d’honneur mais j’ai surtout l’honneur d’être invitée. Bien que vous soyez très loin de la Palestine, vous défendez, en France, les valeurs d’humanité, que cela soit pour notre cause ou pour celle d’autres peuples pour lesquels vous vous étiez mobilisés auparavant. Pour ma part, mon message sera celui de tous les principes défendus par Marwan Barghouti pour l’humanité et la liberté. Principes pour lesquels il a perdu sa propre liberté. Toutefois, je souhaite que la situation politique s’améliore rapidement, de sorte que ce soit Marwan qui participe à la Fête de l’Humanité et non moi.

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Entretien réalisé par Julia Hamlaoui

in l’Humanité

09.07.2013