Georges Marcelli : itinéraire d’un militant ordinaire

samedi 8 août 2009
par  Alger républicain

Oui, j’ai eu le privilège d’être l’un d’entre eux, pendant une brève période, l’épisode 1962-1965 de la grande aventure d’Alger républicain. J’ai côtoyé Georges Marcelli. Si notre camarade disparu pouvait lire l’hommage qui suit, il se serait mis dans une de ses « colères » mémorables, le rouge au front, pestant contre cette atteinte à sa modestie et à sa discrétion légendaires : « arrête de déconner ! », aurait-il rugi ! Il aurait eu raison mais il n’en demeure pas moins que les gens, ses compatriotes, les jeunes générations ont le droit de savoir, de connaître ceux qui dans l’anonymat et la souffrance ont remis l’Algérie debout. En leur rendant hommage, on rend hommage à l’Algérie tout simplement !
Les hommes et femmes qui ont marqué l’histoire de notre pays n’en finissent pas de disparaître l’un après l’autre.

Pendant la lutte séculaire de notre pays pour son indépendance et de notre peuple pour son émancipation politique et sociale, l’Algérie a enfanté des êtres exceptionnels, femmes et hommes ordinaires qui ont fait des prodiges pour que notre pays et toute l’Humanité restent debout. Ils l’ont fait souvent avec un courage rare et une grande humilité. Georges Marcelli a été l’un d’entre eux.

« Un garçon rougissant, si ému qu’il en bégaye d’émotion, se présente un jour à « Alger républicain » muni d’une recommandation de Louis Rives … Celui qu’il recommande, le jeune Marcelli, Bônois comme lui, viens de terminer ses études secondaires et va accomplir son service militaire. Il rêve de collaborer à « Alger républicain », à la fois parce qu’il lui semble qu’il n’y a pas de plus belle profession que celle de journaliste et parce qu’il veut, « vingt-quatre heures sur vingt-quatre », servir son idéal.

« Alleg- qui reçoit habituellement ceux qui sollicitent un emploi- lui dépeint la vie dure de l’équipe et lui demande de bien réfléchir … Marcelli deviendra l’un des meilleurs secrétaires de rédaction du journal en même temps que l’un de ses pilliers les plus solides. Sous des allures d’ours, il cache un cœur de poète. Comme il explose facilement, ses collègues- et notamment Briki, Benzine et Mustapha Kaid- expert en farces diverses, s’ingénient à multiplier les occasions de le faire « monter » pour le seul plaisir de l’entendre jurer en bônois » . (« La grande aventure d’Alger républicain » page 92)

La guerre de libération déclenchée, le PCA avait commencé à organiser les CDL (combattants de la libération) dès la fin de 1955. « Ils commencent à mener des actions de sabotage et s’étoffent puisqu’ils sont alors une douzaine de groupes de 5 à 6 membres. Parmi eux, il y a des militants d’origine européenne, comme Georges Acampora, André Castel, Jean Farrrugia, Fernand Iveton, Georges Marcelli ou Felix Collozzi » (in La guerre d’Algérie - Henri Alleg).

Après les accords FLN-PCA pour l’intégration des CDL dans les rangs de l’ALN et les actions armées qui ont été menées, la répression est féroce et s’abat sur les combattants :

« Du 4 au 7 décembre 1957, devant le tribunal permanent des forces armées d’Alger, se déroule un des procès dit des « combattants de la libération ». On y juge curieusement mêlés, Jacqueline et Abdelkader Guerroudj, Yahia Briki, Abderrahmane Taleb, Jacques Salort, Georges Marcelli, Jean Farrugia et Jocelyne Châtain. »

Les patriotes font des déclarations courageuses et Taleb Abderrahmane est condamné ç mort pour la troisième fois. Il sera effectivement guillotiné dans la cour de la prison de Barberousse le 24 avril 1958. Lors du procès, Marcelli déclare devant ses juges :

« j’ai une confiance inébranlable en l’avenir de ma patrie algérienne ».

Il sera condamné à huit ans de réclusion.

Le Marcelli que nous avons connu à « Alger républicain » en 1962, présidait aux destinées de la rubrique régionale, alimentée par les correspondants locaux de l’Algérie profonde. Il n’évoquait presque jamais son parcours de combattant. Travailleur infatigable, méticuleux jusqu’à être « maniaque », il commençait tôt le matin et suivait ses pages jusqu’à l’imprimerie. Ce n’est qu’une fois le travail terminé qu’il se détendait, son visage s’illuminait d’un immense sourire, les yeux sous les lunettes teintes riaient, le front s’éclairait et dans les jours fastes on avait droit à une danse « zendali » de quelques secondes, le soir tard.

Comme nos aînés, nous aimions le faire sortir de ses gongs dans la salle de rédaction. Il ne levait pas la tête de ses copies, mangeait sur le pouce, allait aux toilettes en vitesse … quand nous allions l’asticoter, il s’emportait en colère « arrête de déconner, je travaille moi !  » Notre cadeau de la journée !

La énième répression contre le journal et ses travailleurs en 1965, après le coup d’état du 19 Juin, a séparé l’équipe. Georges, comme nous tous, a refusé le diktat. Il a choisi la dignité, et « Alger rép » a cessé de paraître, sans fusionner avec le journal gouvernemental Le Peuple.

De cet épisode de la grande aventure d’Alger républicain je garde une image, plutôt une photo du dernier défilé du 1er mai 1965. Au milieu du carré du journal, Marcelli marchait la tête haute, boulevard Amirouche. Pour la circonstance, il avait mis une cravate !

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A.Noureddine
26 mai 2009