Accueil > Hommages > Hommage aux amis et aux camarades disparus > Hommage à Georges Accampora (2)
Hommage à Georges Accampora (2)
samedi 18 février 2012
Texte du PADS lu par Zoheir Bessa.
.
"Cher camarade, cher frère Georgeot,
Tu viens de nous quitter après un ultime combat contre la maladie. Tu as su l’affronter avec ton courage, ta lucidité, ton calme serein si légendaires, si exemplaires pour tous ceux qui s’inspireront de la force des convictions que tu t’es forgées dans le parti qui t’as donné des yeux pour voir, pour reprendre Aragon, ce parti que tu as enrichi en retour de tes qualités humaines, de tes sensibilités, de ton indignation permanente devant l’injustice et le mépris. Ce combat inégal, que tu as livré cette fois-ci contre les lois implacables de la nature, tu ne pouvais le remporter. Mais à travers une vie emplie de luttes inlassables, d’espoirs et de certitudes, tu as remporté une victoire contre les forces de la soumission, du fatalisme et de la résignation face à l’ordre arrogant des puissants. Tu nous a légué, à nous tous, tu as légué à tous les jeunes qui reprendront inéluctablement, qui reprennent déjà le flambeau de la lutte, tu as légué les leçons exaltantes d’une vie faite de dévouement, de sacrifices, de convictions au service de la lutte pour l’affranchissement des opprimés de toutes races et origines, au service de la libération de ton pays natal, de l’affranchissement des damnés de la terre, pour citer le titre du livre de Frantz Fanon.
Tu aurais pu profiter de ta situation de membre d’une communauté "élevée au-dessus de celle des indigènes" pour te faire une belle place au soleil. Mais ton refus de l’exploitation, ton rejet de la vue des enfants cireurs privés d’école pour gagner un morceau de pain, de l’horrible condition de travailleurs courbés, pour des salaires de misère, sous la poigne des maîtres de la Mitidja, des "Fatma" obligées de se faire les servantes des Européens nantis pour nourrir leurs enfants, ton indignation face au racisme, aux massacres de mai 1945, c’est tout cela qui t’a poussé presque naturellement à comprendre que la lutte contre la misère et l’exploitation, la lutte pour l’égalité des droits indépendamment de son origine ethnique, cette lutte était intimement liée au combat pour abattre le régime colonial. C’est pour cela que tu avais adhéré au Parti communiste algérien après une longue grève qui avait vu les exploités de toutes origines s’unir de façon admirable contre leurs exploiteurs communs. Ce combat pour la libération du pays, tu ne l’as jamais dissocié du combat planétaire de tous les exploités et des opprimés pour l’abolition d’un ordre social qui voudrait qu’une poignée de capitalistes vive de façon insolente du fruit du travail de milliards d’hommes. Tu n’a jamais accepté que l’on puisse laisser cette poignée de hobereaux des temps modernes jeter les exploités les uns contre les autres dans des guerres de domination incessantes, de plus en plus meurtrières pour perpétuer leurs privilèges, grossir un butin dégoulinant du sang et de la sueur de leurs victimes.
L’ arrogance redoublée de ces maîtres provisoires du monde, ne connaît pas de limite après leur victoire momentanée sur les peuples qui avaient commencé à explorer les voies nouvelles et inconnues d’une société sans exploitation. Les cris de triomphe de ceux qui ont cru qu’ils pouvaient désormais proclamer la fin de l’histoire, c’est-à-dire l’éternité de l’exploitation, des injustices et de la domination, ces rugissements de la bête sauvage que le capitalisme enfante tous les jours, ne t’ont pas terrifié. Ils n’ont pas ébranlé tes convictions, pas plus qu’hier les bourreaux de Serkadji n’avaient pu semer le doute dans la justesse de ton combat aux côtés de tes innombrables frères et sœurs décidés jusqu’au sacrifice suprême à mettre fin à 132 ans d’oppression et de barbarie coloniales. Aux défenseurs de la barbarie capitaliste, de toutes nationalités et de toutes confessions religieuses, tu as répondu tranquillement en 1990 que tu restais fidèles à tes idéaux, même si la lutte pour le socialisme n’était que partie remise face à la trahison et aux reniements. La vie t’a donné raison : la grave crise dans laquelle est entré le système capitaliste mondial remet à l’ordre du jour la lutte pour le socialisme.
Cher Georgeot,
Pour reprendre les paroles de ton camarade de parti, celui qui a dirigé avec courage et détermination les Combattants de la Libération, Djilali Guerroudj, tu fais partie de ceux qui ne sont pas riches, qui n’ont jamais couru derrière la richesse, alors qu’à l’indépendance ils pouvaient en leur qualité de moudjahidine héroïques et prestigieux se remplir facilement les poches. Tu fais partie de ceux qui ont eu une vie très riche, riche de leur combat inlassable pour bâtir une société nouvelle, repartir à l’assaut pour repousser les attaques de ceux qui ne cherchaient et ne cherchent qu’à prendre la place des Borgeaud, des Schiaffino, des Froger, des Bengana et des Benali-Cherif, de ceux que l’on appelait les "Cent seigneurs".
Oui, il est vrai que les nouveaux "Cent seigneurs" algériens ont certainement amassé par le pillage des richesses de la nation et l’exploitation du fruit du travail des ouvriers et des paysans, beaucoup plus d’argent et de biens matériels que leurs cruels prédécesseurs étrangers.
Oui, il est vrai que le combat continue pour que les fruits d’une indépendance durement arrachée ne soit pas confisquée par une nouvelle classe d’oppresseurs autochtones, une classe capable de toutes les trahisons et de toutes les cruautés pour préserver ses intérêts de classe égoïstes. Mais cette vérité amère, tu l’avais pressentie, tu l’avais anticipée en t’engageant cependant sans hésitation dans la lutte armée après le déclenchement de la guerre de libération le 1er novembre 1954. Sans hésitation non plus tu avais compris que la fusion enfin réalisée en juillet 1956 dans les groupes armés sous la direction de FLN-ALN était un passage nécessaire pour vaincre l’armée de la 4è puissance mondiale. Tu avais en effet étudié dans ton parti les lois du développement historique, les lois de la lutte des classes. Grâce à cet enseignement, tu avais acquis la conviction que le terrain de la lutte pour le socialisme devait d’abord être déblayé par la liquidation du colonialisme, que la lutte pour l’indépendance n’était qu’une étape sur le long chemin de l’émancipation des exploités et des opprimés et qu’après l’indépendance, qu’il ne fallait pas idéaliser, une nouvelle ère de luttes politiques et sociales internes allait s’ouvrir pour empêcher que des Borgeaud algériens ne remplacent les Borgeaud du colonialisme.
Tu étais idéologiquement préparé à affronter avec lucidité, abnégation et sans illusion les dures réalités qui attendaient le peuple après sa libération du colonialisme. Tu étais imprégné aussi bien des principes de la fermeté sur l’objectif final que de l’art et des nécessités de l’alliance avec toutes les forces patriotiques intéressées à la défense de l’indépendance du pays face aux intrigues et pressions inévitables des puissances impérialistes pour lesquelles l’indépendance se résume au droit de faire flotter le drapeau algérien. Tu étais suffisamment armé pour participer à toutes les luttes après l’indépendance, pour concrétiser ces mots d’ordre lumineux "la liberté, la terre et le pain", pour l’édification du pays, la démocratie, le soutien aux peuples en lutte contre le colonialisme, la solidarité avec les pays socialistes et le prolétariat mondial dans son combat anti-capitaliste.
Tu nous quittes, indépendamment de ta volonté, à un moment où les puissances impérialistes préparent méthodiquement un mauvais coup contre notre pays, en ce 50 ème anniversaire de l’indépendance. Elles comptent sur la complicité des nouveaux Bengana et Benali Chérif. Elles exploitent les mécontentements provoqués par l’étalage insolent des richesses "mal acquises" et les méthodes despotiques de toutes sortes.
Mais tu peux partir tranquille. Sois certain que de nouvelles forces vont se lever pour déjouer les plans de l’ancienne puissance coloniale qui n’a jamais digéré l’indépendance du pays. Ton combat continue. L’Algérie d’aujourd’hui, est assez forte moralement et socialement pour enfanter les nouveaux Zabana, Taleb, Didouche, Hassiba Ben bouali, Ben Mhidi et Abane Ramdane, Ben Boulaïd, Ali La Pointe, Maillot, Iveton, Laban, Ghomri, Lamrani, Raffini, de nouveaux combattants qui sauront faire face aux tâches de notre nouvelle époque, celle du combat pour faire échouer les visées impérialistes et transformer en profondeur la société en extirpant les racines économiques de l’exploitation et de l’oppression à l’échelle nationale comme à l’échelle mondiale.
Cher Georgeot, tu es parti ce 11 février, 55 ème anniversaire, jour pour jour, du martyre de tes camarades et frères de combat Fernand Iveton, Lakhenèche et Ouannouri. Tu reposeras aux côtés de Fernand. Votre mémoire vivra à travers nos luttes et celles des générations à venir. L’idéal pour lequel vous avez lutté se réalisera un jour.
Chère Juliette, nous t’assurons de notre solidarité totale. Juliette, courageuse et solide comme un roc, pour paraphraser Nazim Hikmet, tu peux être fière d’avoir partagé ta vie avec un homme aussi honnête et aussi admirable que Georgeot. Nous sommes nous aussi fiers d’avoir été éduqués par des hommes de cette trempe, des hommes qui ont été la synthèse vivante de ce qu’il y avait de meilleur dans le mouvement national et dans le mouvement communiste.
.
Les communistes du Parti Algérien pour la Démocratie et le Socialisme
13 février 2012"