Hommage à Jules Molina

samedi 8 août 2009
par  Alger républicain

Obligé de quitter le pays et de se greffer ailleurs pour raisons familiales, il a laissé ses biens, appartement et véhicule, pour une compensation dérisoire, afin d’aider le Parti et un de ses principaux dirigeants, victimes à plusieurs reprises de la répression, à retrouver un toît

Dans le début des années 90, lorsque le Parti fut agressé et mis à mort et que la folie s’empara même de dirigeants prestigieux du PCA, devenus ceux du PAGS ; lorsque le désarroi mena vers les luttes fratricides, au lieu de faire front commun à l’agression contre l’outil indispensable pour les luttes futures, Molina souffrit, comme nous tous, mais garda le sens de la mesure, de la retenue et de la camaraderie. Il nous donna une grande leçon : il refusa de devenir le « procureur de la République » et témoin à charges, dans un procès indigne...monté de toutes pièces...pour salir le premier dirigeant du parti, isolé et déjà mis sur la touche ! Molina, pour moi, en sorti encore plus grand !

Bien sûr, de temps en temps, à diverses occasions, je me demandais ce qu’était devenu Jules. Mais je ne voulais pas poser la question pour ne pas réveiller de mauvais souvenirs.
Puis, coup sur coup, au cours des semaines écoulées, son nom s’imposa à moi à plusieurs reprises. Allez savoir pourquoi ?
Lors de la commémoration, le 12 février au cimetière de Bologhine (St Eugène), de l’exécution du camarade Fernand Iveton , en compagnie de deux autres martyrs, ouvriers comme lui, à la prison de Serkadji, il y a 52 ans, j’ai eu à intervenir au cours de la cérémonie même, pour contrer une contre-vérité selon laquelle les communistes individuellement, y compris Iveton, s’étaient engagés dans la lutte de libération, contre « l’attentisme » de leur parti. Un article signé par le même personnage trouble, reprenant les mêmes contre-vérités historiques, avait été publié dans El Watan du 5 février.

Molina rédigea, le 12 février, un projet de lettre à adresser au quotidien pour rétablir la vérité, après avis des camarades pour amélioration, faisant trois remarques que je partage entièrement : « la lettre gagnerait à ne pas être trop longue », « l’envoyer sans trop tarder » et « au sujet des signatures que plusieurs camarades algériens y figurent, y compris parmi ceux qui vivent là-bas ». J’espère que la mise au point de ce texte, interrompu par la maladie de « Julot » sera envoyée dans un proche avenir, c’est une sorte d’hommage !

Deuxième fait : un colloque s’est tenu les 4 et 5 mars, en hommage à Hamid Benzine, autour « d’Alger Républicain », colloque fructueux au cours duquel des échanges intéressants, parfois vifs, ont eu lieu pour apporter un éclairage de spécialistes de l’information et de l’Université sur le titre prestigieux, mais aussi de nombreux témoignages vivants des « acteurs » des différentes époques de la grande aventure.
Quelqu’un dans son intervention parla de ce que le « misérable et fauché Alger Rep » pouvait faire pour les publications nationalistes privées de moyens d’impression. Je me suis rappelé ce qu’en a dit le livre « La grande aventure d’Alger Républicain » (page 19). L’imprimerie pour aussi poussive qu’elle soit, rendra d’éminents services « de ses cylindres sortiront outre »Alger républicain« , les journaux du PPA-MTLD, » l’Algérie libre« , »El Maghreb el Arabi« , qui paraît en arabe, »la Nation algérienne« (organe des » centralistes« après la scission du MTLD en 1953) ; ceux de l’Union de la jeunesse démocratique, » la jeune Algérie« , de l’Union des femmes d’Algérie » ; de l’Union générale des syndicats algériens (UGSA-CGT), « le Travailleur algérien », puis de l’UGTA ( Union Générale des travailleurs algériens), « l’Ouvrier algérien ». Elle imprimera d’inombrables brochures, bulletins, tracts, affiches, pour toutes les organisations nationales et progressistes...« Si les publications nationalistes sont interdites dans les imprimeries coloniales ou dénoncées à la police, à l’imprimerie “d’Alger rep » c’est une autre histoire (page 157) : « à Koechlin, au contraire, on a affaire à des amis et des alliés. Avec l’aide de Jules Molina, le directeur ( et avant lui de Jean Maillet), les responsables MTLD (Messaoudi Zitouni, plus tard ministre de l’Industrie légère dans le gouvernement algérien, Salah Louanchi qui aura de hautes fonctions dans le FLN, parmi d’autres militants) qui ont la charge de »l’Algérie libre« trouvent, quand une saisie va avoir lieu, mille et une ruses pour tromper les policiers et sauver une partie du tirage ou des flans qui seront expédiés en France pour une réédition. Alors que les agents et inspecteurs sont postés devant l’imprimerie, attendant dans la nuit la fin de l’impression pour exhiber l’ordre officiel de saisie et s’emparer des journaux, les militants MTLD aidés par quelques linos ou typos, transportent les paquets jusqu’à l’étage supérieur et, de là, les font redescendre par une des fenêtres qui, à l’arrière de l’atelier, donnent sur la cour d’un entrepôt de vin. Une voiture feux éteints, y stationne. Au volant, un militant du MTLD ; les paquets »d’Algérie libre« ou des tracts ramassés et chargés, ils filent par l’avenue du front de mer sans que les policiers, là où ils se trouvent, aient pu s’apercevoir de quelque chose. Ils mettront quelques temps à découvrir l’astuce, et pour éviter d’être joués à nouveau, finiront par installer, dans les »moments chauds", une surveillance permanente autour de l’imprimerie, contrôlant systématiquement tout ce qui en sort, sans se soucier de légalité.

De tels « coups » se paient cher. Le directeur de l’imprimerie et le gérant du journal, Louis Pont (un militant de vieille date, mutilé de guerre, bardé de décorations et qui accepte d’accumuler amendes et condamnations), considérés comme « complices », se retrouveront plus d’une fois avec les responsables du journal ou du tract incriminé devant les mêmes tribunaux".

C’est ce passage que j’aurais souhaité lire aux participants au colloque, mais que je n’ai pu faire faute de temps. J’aurais ainsi rendu hommage à Jules Molina, de son vivant, quelques heures avant qu’il nous quitte dans la nuit de mercredi à jeudi. Maintenant c’est fait : merci camarade pour tout, sans ajouter rien d’autre pour ne pas froisser ta modestie.

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A.Noureddine
6 mars 2009