L’Algérie doit redéployer ses capacités militaires au Sahel

jeudi 29 mars 2012

« L’Algérie doit redéployer ses capacités militaires au Sahel »

Pour le directeur du Centre de recherche sécuritaire et stratégique (Crss), M’hend Berkouk, l’Algérie doit renforcer son reploiement militaire à travers ses frontières avec le Mali. Le spécialiste des questions sécuritaires a aussi précisé que les événements se déroulant au Mali menacent aussi bien l’unité nationale malienne, que la sécurité des pays voisins en particulier l’Algérie.

L’Expression : Quelles sont les répercussions que peut avoir le coup d’Etat au Mali sur la sécurité régionale en général et l’Algérie en particulier ?

M’hend Berkouk : Les changements politiques survenus au Mali suite à l’action de force menée par un groupe de militaires mutins n’est pas un coup d’Etat au sens politique. Néanmoins, ce coup de force va exacerber davantage le climat d’instabilité et d’insécurité, sévissant au Mali, depuis plusieurs mois. Les craintes, qui existaient par rapport à une situation politique transitoire du fait de l’instabilité au nord du pays, se sont confirmées non par rapport à l’élection présidentielle, mais à cause de la nouvelle situation de non-constitutionnalité, née du renversement du président malien.

Les événements se déroulant au nord du Mali sont les plus dangereux et déstabilisateurs, et ce depuis la première rébellion du 1963, date de la première fronde de ces populations au Nord-Mali. Brutalement réprimées, leurs manifestations pacifiques restèrent étouffées jusqu’en 1990, lorsque Iyad Ag Ghali, chef du Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad (Mpla) au Mali, déclencha la rébellion armée, en menant des attaques sur Menaka et Tidermène. Un mois après, le Front de libération de l’Aïr et de l’Azawak (Flaa) de Ghissa Ag Boula frappait à Tchin-Tabaradène au Niger.

La suite est connue. A la même époque et sur initiative de l’Algérie, les chefs d’Etat malien, nigérien, algérien, et le colonel El Gueddafi, se réunirent à Djanet (Sud-Est algérien) pour examiner les revendications de cette population qui rejeta, en 1958, la proposition coloniale de création d’un Etat saharien. Aujourd’hui, c’est la première fois qu’un mouvement de révolte revendique et réclame l’indépendance de cette région du nord du Mali. Ainsi, les actions menées au sol par le Mouvement indépendantiste targui et le manque de performance de l’armée malienne ont été plutôt utilisées par les putschistes rien que pour justifier leurs actes.

Par ailleurs, il faut dire que ce putsch militaire va avoir de graves répercussions tant sur le Mali que sur les résultats prometteurs réalisés en matière de processus de démocratisation des institutions maliennes. De plus, il jettera de l’huile sur le feu pour les foyers de tension prévalant au nord.

L’Expression : Quel est l’impact de ce putsch sur l’Algérie laquelle partage de longues frontières avec le Mali ?

M’hend Berkouk : L’Algérie qui partage une longue frontière avec le Mali a besoin impérativement autant de redoubler sa vigilance que, bien entendu, de redéployer ses forces militaires le long de ses frontières avec le Mali. Le terrorisme qui a, du fait de la crise libyenne, renforcé ses positions et ses capacités d’action, risque grandement notamment de ressurgir au Mali. D’autant plus qu’il s’agit d’un pays qui a connu le plus d’actes terroristes commis par Aqmi au Sahel. Cela dit, l’Algérie a plus d’expertise en matière de lutte antiterroriste, et une diplomatie crédible doit permettre la médiation et œuvrer pour éviter de graves dérives, qui pourraient compromettre l’unité nationale du Mali.

L’Algérie doit également veiller à développer une approche constructive au sein des pays de la région et ce, selon l’esprit des Accords d’Alger 1 en matière de lutte contre le terrorisme au Sahel.

L’Expression : Pensez-vous que la rébellion des Touareg au nord du Mali et le terrorisme sont les seules motivations des militaires mutins, ou ce coup de force est-il motivé par des desseins inavoués ou des mains étrangères ?

M’hend Berkouk : La rébellion et la gestion du dossier du terrorisme ne justifient pas objectivement ce putsch, se déroulant à deux mois de l’élection présidentielle malienne, prévue pour le 29 avril prochain. Il y a sûrement des desseins inavoués derrière cette nouvelle crise constitutionnelle à laquelle fait face le Mali. Pour ce qui est de la main étrangère, certes on ne peut dire qu’il n’y en a pas, mais certains précédents prêtent plusieurs lectures justifiant la présence d’une implication étrangère dans les événements au Mali.

A ce titre, il convient de rappeler qu’en septembre 2007, il s’est tenu à Paris la réunion des Touareg du Niger et du Mali dont l’objectif a été de fonder la République « Thamouzgha », sur la base du décret (français) de 1957, instituant Ocrs (Organisation commune de la région du Sahara) pour le grand Sahara. C’est en 2007 d’ailleurs, que Niamey a dénoncé énergiquement la compagnie Areva, présente depuis plus de 40 ans au Niger, en exploitant les conséquentes ressources en uranium, d’avoir financé les rébellions des Touareg du Mnjd.

Ces événements démontrent donc que la France a toujours une influence sur les pays du Sahel.

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Par Kamel Lakhdar-Chaouche

Samedi 24 Mars 2012