Madagascar 1947 : révolution contre le colonialisme français

dimanche 8 mai 2016

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Madagascar

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Le 29 mars 1947, quelques centaines d’hommes simplement armés de sagaies et de coupe-coupe attaquent des petites villes côtières et des plantations. Ils s’en prennent aux Européens mais aussi aux Malgaches qui vivent et travaillent avec eux. Les colons sont pris au dépourvu et ne peuvent réagir faute de moyens militaires sur place.

Le gouvernement de Paul Ramadier, désemparé, fait porter la responsabilité des troubles sur les trois parlementaires du MDRM. Les députés, y compris l’extrême-gauche communiste, lèvent sans rechigner leur immunité parlementaire. Ils sont arrêtés. Deux seront condamnés à mort mais leurs peines heureusement commuées en exil.

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Malgré cela, la jacquerie s’étend. Elle embrase rapidement toute la partie orientale de l’île, où la misère et les frustrations sont les plus grandes. Les rumeurs les plus folles courent sur le compte des insurgés, soupçonnés des pires atrocités.

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Le gouvernement envoie à Madagascar des renforts, essentiellement des troupes coloniales (tirailleurs sénégalais) : au total 18.000 hommes début 1948. La répression donne lieu à de nombreux débordements et crimes de guerre : tortures, exécutions sommaires, regroupements forcés, mises à feu de villages,...

Parmi les crimes les plus graves figure celui du 6 mai 1947, quand le commandant du camp de Moramanga, dans la crainte d’une attaque, fait mitrailler plus d’une centaine de militants du MDRM emprisonnés dans des wagons.

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L’armée française expérimente aussi une nouvelle technique de guerre psychologique : des suspects sont jetés vivants d’un avion pour terroriser les villageois de leur région.

En vingt mois, la « pacification » va faire 89.000 victimes chez les Malgaches selon les comptes officiels de l’État français. Mais ces comptes auraient été exagérés par méconnaissance du terrain et pour alourdir le dossier d’accusation du MDRM.

Les forces coloniales perdent quant à elles 1.900 hommes (essentiellement des supplétifs malgaches). On relève aussi la mort de 550 Européens, dont 350 militaires. La disproportion des pertes tient à ce que les rebelles ne disposaient en tout et pour tout que de 250 fusils.

En métropole, Le Figaro et L’Humanité parlent du soulèvement mais le gouvernement et l’ensemble des organes de presse minimisent son importance et ne disent rien de la répression. L’opinion publique, il est vrai, est davantage préoccupée par le rationnement, les grèves et la guerre froide.

L’insurrection de 1947 a été gommée de la mémoire collective des Français mais aussi des Malgaches.

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La répression
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Le petit journal - 2 juin 1895

La première insurrection contre le colonialisme

Madagascar

En mars 1947, c’est l’insurrection de Madagascar. La France va mettre cinq mois à l’écraser, malgré la violence de la répression. En juin et en décembre 1946, des signes avant-coureurs de la grande révolte ont été émis. Ces premières révoltes sont durement réprimées. Ces étincelles vont allumer un grand incendie.

Dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, toute la partie Est de l’île se soulève, contre la misère, contre les exactions des Européens et du pouvoir colonial. C’est une explosion spontanée. Cela se voit notamment au fait que, sans armes, l’insurrection le restera jusqu’à la fin de l’année 1948. Les plus pauvres, les plus opprimés se mobilisent, n’ont plus peur de la répression, ne reviendront plus en arrière. La réaction coloniale est violente et débute, dès le 4 avril, avec la proclamation de l’état de siège dans dix districts.

Le 31 mars, c’est un camp militaire français qui est attaqué par plusieurs centaines d’hommes seulement armés de sagaies et de coupe-coupes. C’est la guerre côté français : infanterie, parachutistes et aviations attaquent les civils désarmés et font déjà un carnage. Le 30 avril, un camp militaire, celui de Moramanga, est attaqué. Les révoltés libèrent cent cinquante prisonniers.

Les Européens, survoltés, organisent une véritable milice de tueurs et le carnage commence. Les exactions et l’arrivée de renforts militaires n’y suffisent pas. Ce n’est qu’en juillet que le colonialisme commencera à prétendre qu’il est désormais à l’offensive. Il faudra toute l’année 1948 au colonialisme français pour en finir avec les rebelles. Le 7 décembre 1948, Mr De Chevigné, Haut commissaire de France à Madagascar, déclare : « Le dernier foyer rebelle a été occupé. » Bilan : l’île est ravagée et il y a eu bien plus que les 80.000 morts reconnus officiellement, sans compter les blessés, les personnes arrêtées, les torturés.

Tout au long des événements, les principales organisations malgaches comme françaises n’ont pas pris le parti des insurgés. Le Parti communiste français ne risquait pas de le faire puisqu’il participait au pouvoir colonial français qui écrasait la révolte. En juin 1947, au onzième congrès du PCF à Strasbourg, Maurice Thorez conclue : « A Madagascar, comme dans d’autres parties de l’Union Française, certaines puissances étrangères ne se privent pas d’intriguer contre notre pays. »

L’empire colonial français, hypocritement appelé « Union française », est défendu par le PCF. Dans les « Cahiers du communisme » d’avril 1945, on peut lire : « A l’heure présente, la séparation des peuples coloniaux avec la France irait à l’encontre des intérêts de ces populations. » Quant à François Mitterrand, il déclarait le 6 avril 1951, alors que des milliers de Malgaches pourrissaient dans les geôles de la France : « Je me déclare solidaire de celui de mes prédécesseurs sous l’autorité duquel se trouvait M de Chevigné quand il était haut commissaire. Les statistiques manquent de précision mais il semble que le nombre de victimes n’ait pas dépassé 15.000. C’est beaucoup trop encore, mais à qui la faute si ce n’est aux instigateurs et aux chefs de la rébellion. »

A Madagascar, l’attitude des organisations de gauche ne vaut pas mieux.
Le 8 avril, ils envoient à Ramadier, président du Conseil, le télégramme suivant : « Les comités et groupes suivants, France combattante, Union rationaliste, CGT, Ligue des droits de l’homme, Groupes d’études communistes, Fédération socialiste, soucieux de traduire l’opinion de tous les Français et Malgaches unis dans un sincère désir de construire une véritable Union française, profondément indignés des troubles actuels, s’inclinent devant les victimes, condamnent toute la réaction factieuse, approuvent les mesures prises par l’autorité civile et lui font confiance pour rétablir l’ordre dans la légalité démocratique et poursuivre l’œuvre constructive vers une véritable union. »

L’opposition démocratique malgache, elle, avait été accusée d’avoir organisé la révolte, accusation totalement infondée en ce qui concerne sa direction. Les dirigeants du M.D.R.M (Mouvement démocratique de rénovation malgache) n’étaient nullement politiquement de taille à vouloir une insurrection contre le colonialisme français. Il s’agissait tout au plus de politiciens libéraux. Mais il fallait bien que le pouvoir trouve des coupables ayant manipulé les masses malgaches. Dès le lendemain de l’insurrection des 29-30 mars, ses dirigeants sont arrêtés et torturés. Le MDRM avait déclaré :

« Les événements du 30 mars apparaissent comme le fait d’éléments ou de groupes isolés de la population ayant agi spontanément sous la pression des souffrances endurées et des persécutions subies. »

M de Coppet, Haut commissaire à Madagascar, déclare :

« Le M.D.R.M est le responsable des troubles à Madagascar. La preuve de la préméditation des crimes est établie, c’est là un coup préparé minutieusement et de longue date. »

Le 26 mars, le M.D.R.M collait une affiche appelant les populations au calme. Pourtant, le 7 mai, déjà 13.000 militants de ce parti sont arrêtés et torturés et les députés sont inculpés de crime et d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Il en résultera dix condamnations à mort et trois aux travaux forcés à perpétuité, qui se rajoutent à plus de cent mille morts. Même après l’indépendance, la mainmise de l’impérialisme français se maintiendra, notamment avec la mise en place de la dictature de Tsiranana.

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Documents :

Grégoire Madjarian rapporte dans « La question coloniale et la politique du Parti communiste français » :

« Madagascar, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, était exsangue ; sa population accablée de misère, au bord de la révolte. Les colonialistes ne se maintenaient qu’en exerçant une répression inouïe. (…) Le spectacle de l’effondrement des forces vichystes devant les armées britanniques en 1942 avait renforcé l’idée que la France était affaiblie et que le moment était venu de s’organiser pour hâter la libération de la patrie. Des sociétés secrètes s’étaient données pour objet un vaste soulèvement pour restaurer la souveraineté nationale. Jina et Panama, créées la première en 1941, la seconde en 1943. (…) Le MDRM (Mouvement démocratique pour la rénovation malgache) (…) pensait acquérir l’indépendance par voie légale et pacifique. L’indépendance elle-même était conçue dans le cadre de l’Union française et du maintien des intérêts économiques de la France. (…)

A partir de 1946, des manifestations populaires, souvent très violentes, se multiplièrent dans différentes villes de l’île contre l’arbitraire colonial. (…) Le 19 mai arrivait à Tananarive le nouveau haut commissaire, le socialiste de Coppet, déjà en fonction avant 1940. L’envoi de ce gouverneur d’avant-guerre cristallisa le mécontentement envers la métropole coloniale. (…) De Coppet était accueilli aux cris de « Vive l’indépendance ! ». De nombreuses bagarres éclataient contre les forces de police et les colons venus protéger le cortège officiel. Elles se transformèrent rapidement en émeutes. (…)

A Paris, à la suite de la pression des états généraux de la colonisation française, les parlementaires – dont ceux du PCF – votaient et faisaient approuver la constitution colonialiste de la quatrième république. L’assimilation était la règle : Madagascar était intégrée d’office, en tant que territoire d’outre-mer, dans la République française « une et indivisible » ; les Malgaches étaient désormais « citoyens français ». (…)

A la fin de l’année 1946, de grandes grèves dans les chemins de fer et les travaux publics paralysèrent les transports pendant près d’une semaine. Les dockers de Majunga et Tamatave arrêtèrent le travail, réclamant un salaire journalier de 65 francs ; on leu accorda 18 à 20 francs. Dès le 18 mai 1946, les planteurs de la côte pressentaient les événements : « (…) Rien ne permet de déterminer quand débutera la révolte, ni sous quelle forme, ni quelles seront les premières victimes. Mais elle doit logiquement éclater. » (cité par Bénazet dans « L’Afrique française en danger »). En janvier 1947, le président du Syndicat des planteurs, Ruheman écrit :

« Le danger est grand et peut-être proche. En brousse, la transformation des esprits depuis moins d’un an est ahurissante. (…) Madagascar va devenir avant peu une autre Indochine. »

(…) Depuis la mi-46, l’administration coloniale règne par la force et les prisons de Madagascar sont combles, les méthodes policières utilisées sans mesure.

A plusieurs milliers de kilomètres de l’île, le bombardement de Haïphong, en décembre 1946, était le produit de la même réaction coloniale. L’objectif politique poursuivi dépassait le cadre du Vietnam. L’impérialisme français voulait donner un exemple de sa puissance retrouvée. Mais au bombardement de Haïphong répondit l’insurrection de Hanoï. (…)

Dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, réplique grandiose aux provocations coloniales et d’une ampleur insoupçonnable, une immense flambée de révolte et de colère embrasait toute la partie Est de l’île, affolant la poignée d’Européens imbus de leur supériorité, installés dans leur domination. A 80 kilomètres de Tananarive, le camp militaire de Moramanga, où était entraînée la « brigade française d’extrême-orient » était attaqué par deux mille hommes simplement armés de sagaies, qui tuaient une partie de la garnison, s’emparaient des armes, mettaient le feu à la poudrière. A la même heure, en différents points de l’île, des fermes de gros colons étaient détruites, les voies ferrées et les lignes électriques coupées dans trois districts, des bases aériennes assaillies. Plusieurs villages tombaient entièrement entre les mains des insurgés à l’armement toujours rudimentaire : sagaies, haches, coupe-coupes et les seuls fusils pris dans les postes occupés.

L’insurrection s’en prenait à tout ce qui concernait la puissance militaire de la France et l’exploitation coloniale. Le 30, les insurgés étaient maîtres d’un sixième de l’île. Ils déployaient partout l’ancien drapeau blanc et rouge, en appelaient à la fraternité malgache.

L’insurrection revêt deux formes militaires : coups de main éclair réalisés par des éléments de la petite bourgeoisie urbaine et soulèvement paysan. Trois traits caractérisent le soulèvement : sa coordination (le déclenchement simultané des attaques la même nuit en est la preuve) ; son absence de commandement central ; enfin sa mauvaise organisation. Il ne réussit que dans de rares cas à s’emparer des armes ; il avorte en plusieurs endroits ; il ne parvient pas à s’étendre au-delà de la zone conquise dès le début. (…) Cependant, malgré les forces déployées, la révolte ne s’éteignait pas. Nouvelles attaques de garnisons les 7, 8 et 9 avril ; le 26, insurrection à Tananarive.

Dans la nuit du 30 avril, les insurgés assaillent à nouveau le camp militaire de Maramanga et libèrent cent cinquante prisonniers. La réaction coloniale affirmait qu’il s’agissait d’ « un coup très dur porté à son prestige », se retournait contre la métropole et son représentant de Coppet, demandant des renforts et l’emploi de tous les moyens pour anéantir « ces bandits à abattre ». Les colons s’organisaient en groupes d’autodéfense et exécutaient des otages malgaches.

Début août, des renforts importants arrivaient dans l’île : Légion étrangère, Nord-Africains et tirailleurs sénégalais principalement. Suivit ce qui deviendra le scénario classique des campagnes coloniales de la quatrième république : quadrillage du territoire par les paras, ratissage, terreur sur les populations, exécutions sommaires. Les forces de répression fusillent, pillent, incendient les villages. (…)

La répression n’épargna pas le MDRM, qui en fut une des cibles privilégiées ; il faut expliquer pourquoi. Le jeu politique du Mouvement consistait à conquérir par les voies légales tracées par la Constitution les postes administratifs et parlementaires. Dans cette voie, il avait obtenu des succès – qui n’étaient pas de nature à changer son orientation : il possédait tous les parlementaires malgaches et dominait presque toutes les assemblées locales. Le MDRM n’avait cessé d’inviter les Malgaches à l’ordre et au travail. Le 3 juillet 1946, avant de rejoindre le Palais-Bourbon, les députés du Mouvement avaient adressé à la population de l’île un message radiodiffusé :

« Chers compatriotes. Avant notre départ de Madagascar, notre chère patrie, nous tenons à vous adresser cet appel : restez calmes, évitez les troubles, parce que le désordre n’engendre jamais aucun bienfait. Rien ne s’accomplira sans la tranquillité et la paix. »

En mars 1947, encore, le MDRM avait lancé des appels au calme ; le 30, dans une proclamation à la population, ses députés réprouvaient de la façon la plus formelle l’insurrection, ramenée à des « crimes », des « actes de barbarie et de violence ». Néanmoins, le même jour, Radio-Tananrive attribuait au MDRM la responsabilité du soulèvement. (…) Début avril 1947, 3.000 membres du MDRM étaient incarcérés, interrogés, torturés – dont les deux députés Ravoahangy et Rabénananjara (Raseta se trouvait à Paris lors de l’insurrection). (…)

Dans la métropole, les dirigeants du mouvement ouvrier ne manifestent visiblement aucune sympathie vis-à-vis des insurgés, mais prononcent au contraire une condamnation sans appel. L’une des plus sanglantes interventions militaires de l’impérialisme français commence sous un gouvernement à direction socialiste, auquel, jusqu’au 5 mai, participe largement le PCF. Ce dernier occupe, entre autres, le ministère de la Défense nationale (François Billoux). (…) Le Parti communiste, remarquait Le Monde du 18 avril, n’avait (….) Manifesté aucune opposition catégorique à l’envoi de renforts comme à la répression des émeutes. » (…)

Tandis que Madagascar n’arrivait plus à enterrer ses morts, le chef du groupe parlementaire PCF invoquait le « courant de liberté » que représentait l’impérialisme français, appelait à l’union sacrée pour défendre les droits de son pays à opprimer d’autres peuples :

« Je le dis, et c’est là note sentiment profond : la France a des positions dans le monde, tous les Français et j’ajoute tous les peuples associés, nous avons intérêt que la France puisse maintenir ses positions. Mais nous serions bien aveugles si nous ne tenions pas compte de ce fait important, à savoir que les positions françaises dans le monde sont terriblement convoitées. » (débat au parlement le 9 mai 1947)

Dans « L’insurrection malgache de 1947 » de Jacques Tronchon :

Sur la cause de la révolte, cet ouvrage cite Marcel de Coppet, Haut-commissaire de la République française à Madagascar au moment des événements, organisateur de la répression violente et barbare et nullement suspect de sympathie pour le colonisé malgache révolté :

« Il faut avoir le courage de reconnaître qu’à Madagascar la juste mesure a été dépassée. (….) Toutes les réquisitions des travailleurs, pratiquées sur une grande échelle, souvent au détriment des cultures vivrières les plus indispensables aux autochtones, n’étaient pas justifiées par l’effort de guerre. Quant aux prestations, elles perdirent leur caractère d’impôt en nature, pour s’apparenter à nouveau à la corvée. » (3 mars 1949)

De Coppet explique en février 1947 dans sa Conférence des Hauts-commissaires :

« Quand survint l’armistice (signé par Pétain avec le vainqueur allemand), les Hova exploitèrent au mieux la défaite française : la France pouvait donc être battue ; bien mieux, elle pouvait même se résigner à la défaite ; elle manquait à la fois de force matérielle et de force d’âme. Plus n’était besoin de la craindre. En 1943, au lendemain de la campagne anglaise (victorieuse contre les Allemands) (…) Madagascar fut placée sous l’égide de la France combattante. La situation économique était alors sérieuse. On pensa pouvoir y remédier en « stimulant la production ».

Pour ce faire, on doubla tout simplement la durée des prestations, on aggrava, de façon non moins illégale, les peines disciplinaires et on réquisitionna partout la main d’œuvre pour la mettre à la disposition, non seulement des services publics mais aussi des entreprises privées. Ce fut une très grave erreur. La production ne s’en accrut guère et, il faut avoir le courage de le dire, Madagascar regretta Vichy. C’est de ce moment, d’ailleurs, (en juin 1946) que date l’explosion généralisée d’un mécontentement qui devait aller en s’amplifiant. (…) La population urbaine d’enhardit. (…) Tout est prétexte au désordre des rues : l’arrivée d’un train, une foire, un marché, un enterrement. (…)

Cette période d’agitation, au cours de laquelle des grèves sont déclenchées à Tamatave et Majunga, ne s’étend pas au-delà du 23 juin 1946, date de la dernière échauffourée à Tananarive ou ailleurs. Pour mettre un terme à toute cette agitation, j’ai simplement appliqué la loi mais je l’ai appliquée dans toute sa rigueur (…) Certes la température a baissé, mais le mal subsiste (…) »

Sur l’historique de l’insurrection, De Coppet écrit :

« L’éclatement de l’insurrection, dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 mars 1947, n’est pas une réelle surprise. Plusieurs événements survenus cette nuit-là sur différents points du territoire malgache, comprennent qu’ils marquent le début du soulèvement contre l’occupation française. A plus forte raison, les autorités coloniales, informées précisément de la date. Dès la fin novembre 1946, celles-ci se trouvent sur le qui-vive. A plusieurs reprises, des forces de l’ordre sont sévèrement molestées par la population. Le 29 novembre 1946, entre Ifanadiana et Androrangavola, le 31 janvier à Marolambo, l’incident tourne à l’émeute. (…) Quant aux leaders du MDRM, ils multiplient depuis longtemps les mises en garde officielles pour détourner les militants du parti de toute action violente. (…)

Un télégramme (du Bureau politique du MDRM de Madagascar du 29 mars 1947) est approuvé à l’unanimité :

« prière de diffuser et afficher. Ordre impératif est donné à toutes sections, à tous membres du MDRM de garder calme et sang-froid absolus devant manœuvres et provocations toutes natures destinées à susciter des troubles au sein de la population malgache et à saboter la politique pacifique du MDRM. Diffusez et accusez réception. » (…)

Le premier foyer de l’insurrection se déclare vers 22 heures dans le district de Manakara, plus précisément dans un triangle dont les points seraient Ambila, Sahasinaka et Ampasimanjeva. Le premier objectif des insurgés est de s’attaquer aux garnisons militaires, aux postes de gendarmerie, tant pour récupérer des armes que pour neutraliser la réaction de leurs adversaires. Certains commandos prennent d’assaut les concessions européennes et les bâtiments administratifs. (…)

L’insurrection est désamorcée partout où l’occupant se trouve sur le pied de guerre. A Tananarive en particulier, le coup de main est décommandé au dernier moment, et la circulation de plusieurs convois militaires dans les rues de la ville au soir du 29 mars a pu provoquer en partie cette ultime défection. (…) Au matin du 30 mars, il est évident que les conjurés n’ont pas atteint leur but, celui d’ » un soulèvement de tous, partout et à la même heure. »

Pourtant, cet échec initial n’empêche pas l’insurrection de s’étendre rapidement à partir de ses foyers des districts de Manakara et de Moramanga. Les troupes qui ont attaqué le camp de Tristani se replient le long de la voie ferrée du M.L.A, en dévastant les concessions des colons européens ou malgaches francophiles. La plupart sont massacrés. (…) Au bout de quelques jours, l’insurrection a gagné l’ensemble de la côte est, puisque Mananjary, Tamatave, Fénérive, Antalaha, Andapa, Sambava et Vohémar sont à leur tour plus ou moins menacées. (…) Dans toutes régions contrôlées par les insurgés, un gouvernement malagasy s’organise, sous l’autorité plus ou moins directe de Victorien Razafindrabe au nord, et de Michel Radaoroson (dit Rakotozaly) au sud. (…)

Jusqu’en juillet 1947, l’insurrection ne cesse de s’étendre. Il s’agit de contrôler les secteurs les plus vastes possible, et de mobiliser les populations paysannes en vue de « l’attaque décisive » sur les grands centres. Des combats sont livrés jusque dans les banlieues de Tananarive, Fianarantsoa et Tamatave. L’occupant redoute très fortement que l’insurrection gagne l’ensemble des régions centrales et déferle ensuite sur les régions occidentales. (…)

Les leaders du MRDM se désolidarisent, dès qu’ils en ont eu connaissance, du mouvement de violence inauguré sur la côte est, fidèle en cela à leur appel au calme du 27 mars. (…) Ils sollicitent la possibilité de faire afficher dans tout Madagascar, ou au besoin de radiodiffuser, une « proclamation » désavouant l’insurrection de manière catégorique : « Nous réprouvons de la façon la plus formelle ces actes de barbarie et de violence et nous espérons que la justice fera jaillir toute la vérité et déterminera la responsabilité de ces crimes. » (…)

Depuis le 1er avril, la Justice a ouvert une vaste instruction judiciaire sous l’inculpation de complot contre la sûreté de l’Etat et ordonné l’arrestation des militants MDRM les plus influents. Aussitôt une répression policière implacable s’abat sur tout Madagascar : c’est à la vérité tous les militants du parti qui sont traqués quel que soit leur rang. Les inculpés sont entassés sans ménagement dans des prisons trop exiguës, quand ce n’est pas dans de véritables camps de concentration « aménagés » à la hâte. Dans de telles conditions, la situation des détenus est intolérable. Les sévices de toutes sortes et les tortures subies au cours des interrogatoires de l’instruction viennent ajouter à leurs souffrances physiques et morales. (…)

Contrairement aux prévisions initiales des autorités françaises, la répression militaire de l’insurrection malgache se révèle longue et coûteuse. Revenu de son optimisme du mois de juin, le général Pellet écrit dans un rapport en septembre 1947 : « Il serait prématuré d’émettre dès maintenant une opinion sur l’avenir de la rébellion. (…) Pourtant tous les moyens sont mis en œuvre pour en venir à bout. La tête des chefs insurgés est mise à prix. Des tribunaux d’exception se forment pour procéder à des exécutions exemplaires autour desquelles il est fait grand tapage. Des inculpés soumis à la torture puis corrompus sont envoyés auprès des insurgés comme agents de renseignement. » (…)

Dans les districts en état de siège, le sort des populations civiles peut devenir dramatique. (…) Le chef de district d’Ambatondrazaka fait procéder à des arrestations massives. Le 5 mai, avant l’aube, 16 otages sont transférés à la gare et enfermés dans trois wagons plombés, affectés d’ordinaire au transport des bestiaux. (…) Vers minuit, les militaires de garde reçoivent l’ordre de faire feu sur le train. (…) les 71 rescapés de cette tuerie sont transférés à la prison. (…) Ils en sont extirpés définitivement le jeudi 8 mai dans l’après-midi pour être conduits devant le peloton d’exécution. (…) C’est « l’affaire du train de Moramanga ».

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Comment se conduisaient les gouverneurs français à Madagascar ...
D.R

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In Matière et révolution