Pierre Cots, un communiste de Bab el Oued

mercredi 11 janvier 2017
par  Alger républicain

Nous occupions à six, parents, frères et sœur, parfois plus avec ma grand-mère maternelle, un appartement de deux pièces, dans une HBM (Habitation bon marché) à Bab El Oued, tout près de l’usine de cigarettes Mélia et de la fabrique d’espadrilles Ronda, situées dans une rue portant le nom de Léon Roches, interprète militaire à l’époque de la conquête. Une artère de quelques centaines de mètres sur laquelle l’administration de la ville n’avait pas daigné planter un seul arbre, sèche, torride en été, ventée, froide, triste en hiver par mauvais temps.

Notre petite cité hébergeait 120 ou 130 familles, généralement nombreuses, dont une dizaine d’origine juive, deux arabo-berbères, les autres espagnoles ou italiennes Aucune ne portait de nom de lignée française. À l’exception de deux ou trois artisans ou petits commerçants, toutes étaient d’extraction ouvrière. La majorité électorale de ce quartier revenait toujours, jusqu’au début de la guerre de libération nationale, aux communistes.

Certes, il n’y a rien d’original à remonter le temps pour retrouver des parcelles de souvenirs. Cette investigation est commune. Cependant, il y a ceux que l’on ne peut oublier, en raison même de leurs traces profondes dans la mémoire ou même, paradoxe, de leur banalité. Il arrive aussi de ne pas faire état d’autres, peut-être plus terribles, dorénavant disparus à tout jamais dans l’oubli.

Le début de l’écriture de ce récit, basé sur des notes, remonte à 1985. Puis il a été abandonné durant plusieurs années en raison d’une inondation qui a noyé plusieurs notes aujourd’hui perdues. Les fragments de vie et quelques-unes des situations ici évoqués, avec leurs blessures encore vives, sont à jamais marqués de forts moments de douleur, de peine, d’indignation, de révolte. Il s’y mêle pourtant des instants ineffables, inoubliables, de solidarité, de fraternité, d’espoir, de grandes amitiés. C’est toujours avec une grande joie que je retrouve, de temps à autre, ceux de mes anciens codétenus encore de ce monde.

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Pierre Cots

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J’ai beaucoup tardé à livrer ces lignes. Probablement parce que je considérais qu’elles présenteraient peu d’intérêt au regard de ce qui s’est déjà écrit. Il n’est pas aisé d’ajouter son grain de sel, et là n’est pas mon propos, après le terrifiant témoignage d’Henri Alleg, écrit à chaud, au sortir des tortures et au plus fort des souffrances vécues en prison, de celui du regretté Abdelhamid Benzine sur le pénitencier de Lambèse, sur les camps, trop peu nombreux, écrits dans les mêmes conditions. Et d’autres, plus tard, comme Mohamed Sahnoun sur les tortures et sa séquestration à la villa Sesini.

Ce récit n’aura donc pas le caractère de ce qui s’est déjà exprimé, il est plus personnel sans, pour autant, escamoter certaines questions cruciales. Quelques-uns, rarissimes, comme feu le général Jacques Pâris La Bollardière qui avait pourtant participé à de vastes opérations militaires s’était opposé aux « disparitions » et fut condamné à un mois d’arrêt. Ou Paul Teitgen, secrétaire général de la police à Alger pour citer les plus connus, quelques soldats, ceux que l’on a appelés les« Soldats du refus », Jean Clavel, Alban Liechti, Yandart, Guyot et bien d’ autres qui furent emprisonnés, enfin, des déserteurs, Moreau, Favrelière, le chanteur Claude Vinci, et encore d’autres, ont eu le courage et le grand mérite de tout faire pour ne pas participer à la guerre, pour dénoncer son cortège d’atrocités. Les formes de solidarité furent diverses telles celles de l’importante et indispensable organisation du collectif d’avocats communistes français qui s’engagèrent avec un grand courage dans la défense des militants communistes et des membres du FLN, du « Réseau Jeanson », de Jacques Vergès, les multiples manifestations et diverses actions du PCF, de la CGT, et de personnalités comme Jean-Paul Sartre et Vidal-Naquet, Yves et Jean-Pierre, avocats d’ Alger qui ont bravé bien des dangers pour assurer la défense des patriotes algériens.

Hormis les policiers, les gendarmes, les CRS et gardes mobiles appartenant à l’appareil répressif et dont le métier était de réprimer sans mesure, aveuglément, un nombre élevé de militaires de carrière, d’appelés ou rappelés sous les drapeaux ont aussi pratiqué la torture et d’autres violences ou en ont été les témoins, le plus généralement silencieux !
Exceptionnels sont ceux qui, dominant leur angoisse, leur douleur ou les « mauvais souvenirs » ont eu le courage de témoigner. Bernard W. Sigg, psychanalyste, a expliqué les raisons de ce mutisme quasi généralisé dans son livre intitulé « Le silence et la honte » publié en 1988 aux éditions Messidor.

Un des principaux responsables des boucheries, le général Massu, s’est très peu, repenti. L’odieux et sanguinaire Aussaresses qu’un grand nombre de téléspectateurs a pu voir et entendre à la télé française a avoué sans pudeur ses crimes. Les généraux Bigeard et Schmitt, et certains, sans remords aucun et sans honneur ont tenté soit de nier soit de justifier l’injustifiable, la pratique systématique de la torture et les assassinats. Le dernier nommé, lieutenant pendant la guerre d’Algérie, promu général, a même été, sans gloire, appelé à la fonction de chef d’Etat-major des Armées françaises de 1987 à 1991 et durant l’intervention des forces de l’OTAN pour démanteler la Yougoslavie.

D’autres, des nostalgiques de l’Algérie française ont tout essayé pour faire passer à l’Assemblée nationale de France, en février 2005, une loi sur les prétendus bienfaits de la colonisation. On y trouvait des députés de droite mais aussi des héritiers de Guy Mollet ancien responsable de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière !) dont le légataire est aujourd’hui le Parti dit socialiste et dont l’un des « éléphants », Strauss-Kahn, a été responsable du FMI et l’autre, Lamy, de l’OMC. Les « gaullistes » ont été les inspirateurs de cette loi, oubliant que leur maître à penser a fait durer la guerre plus longtemps que ceux qui l’ont précédé au pouvoir. Devant le tollé qu’a soulevé l’article 4 de cette loi, le président d’alors de la République française, Jacques Chirac, a été contraint de pousser à son abrogation. Partielle ! ·

Que dire quand les victimes de ces chefs tortionnaires, Louisette Ighilhahriz, Eliette · Loup, Djami la Bouhired, Fernand Yveton, jacqueline Guerroudj, Zohra Drif, Djamila Bou Pacha, Auguste Chatain, Georges Acampora, Jean Ronda, Alfred Gerson, Jacques Salort, Mustapha Fettal, Rachid Boukhari, Mohamed Sahnoun [1], Mohamed Badji et des centaines de milliers de femmes, d’hommes, de vieillards et même des enfants ont souffert les pires atrocités ? Parmi eux ma soeur Denise, mon oncle Raphaël Bellido auxquels je veux rendre ici un hommage appuyé.

Que dire quand Ali Boumendjel, Larbi Ben M’hidi, dirigeants du FLN, Maurice Audin, Omar Djeghri, ces deux derniers membres du PCA, sans parler des anonymes, sont morts sous les supplices subis ou froidement assassinés ? Malgré mes appréhensions, devant l’ignorance d’un grand nombre de personnes de ce que fut véritablement cette guerre, ignorance sciemment entretenue par le mensonge ou l’omission volontaire, sur l’insistance de mon fils Pablo, j’ai fini par me laisser convaincre de rassembler mes notes et mes bribes de souvenirs de ces temps, de les confier aux miens, à ceux qui me sont précieux, à tous ceux qui voudront bien en prendre connaissance.

Ma sœur et nombre de mes camarades, pour avoir vécu ces persécutions,
Monique, ma compagne ; mes enfants, Sandra et Pablo ; mes frères, Alain et
Jean-Marc, mes belles-sœurs, Michèle et Baya, ma cousine Sylviane, mes camarades, mes amis en connaissent une part. D’autres, s’ils veulent bien prendre le temps de me lire, en sauront davantage. Ils auront la confirmation que la violence, la barbarie sont inhérentes à la nature du colonialisme, de l’impérialisme quel que soit son masque. La vie nous le démontre, hélas chaque jour encore. Avec la dictature fasciste du Paraguay, de l’Uruguay, du Chili de Pinochet, de celui du pouvoir fasciste d’Argentine, tous soutenus par les USA, ou, plus récemment, le coup d’Etat contre le président Zelaya du Honduras. C’est encore le cas, notamment en Palestine, avec la sauvage agression contre la population de la bande de Gaza, en Irak et en Afghanistan, en Colombie, en Libye avec l’innommable assassinat de Mouammar Kadhafi et de l’un de ses fils, en Côte d’ Ivoire, et (bientôt ?) en Syrie et peut-être en Iran. Et ailleurs demain ?

Le mot impérialisme est tombé en désuétude aux yeux d’un grand nombre de personnes, en particulier de nombreux journalistes, chroniqueurs, commentateurs, historiens et ceux que l’on nomme pompeusement politologues. Je ne connais pas d’autres vocables susceptibles de le remplacer pour désigner cette étape de l’histoire de l’humanité inhumaine.
L’impérialisme, ses services et ses valets développent aujourd’hui l’énorme idée honteuse et mensongère que le nazisme et le communisme auraient commis les mêmes crimes. Alors que l’URSS a consenti les sacrifices les plus lourds durant la deuxième guerre mondiale, 27 millions de morts, les USA ont débarqué seulement en juin 1944 en Normandie alors qu’ils étaient déjà en Algérie dès le 8 novembre 1942. Dans la grossièreté de leurs mystifications, les gouvernements et leurs médias omettent de signaler que tous les gouvernements bourgeois de l’Europe capitaliste ont trahi leurs peuples en se soumettant et collaborant abjectement avec l’occupant nazi, en se mettant à son service. Ils refusent de reconnaître ou de rappeler que seule l’URSS a rejeté et condamné ce vil compromis criminel et engagé un rude combat contre les forces nazies. Le traité de non-agression signé par l’URSS et l’Allemagne nazie, est venu après les accords de Munich ratifiés par Chamberlain et Daladier et, en vérité, à la suite du refus des gouvernements occidentaux de constituer un front antinazi. Mais les historiens actuels omettent d’en faire état. Enfin, ces pouvoirs bourgeois corrompus n’ont jamais eu un esprit patriotique, ils ont honteusement trahi leurs peuples et aujourd’hui ils omettent d’évoquer leur trahison. Certains, dans les pays baltes et en Hongrie où le capitalisme a été restauré vont même jusqu’à réhabiliter et glorifier sans honte des anciens SS et à emprisonner des anciens résistants.

D’autres parlent de mondialisation et chacun lui donne son propre sens, un sens mal défini, parfois en tentant de considérer ce nouveau stade comme une fatalité ; ce mot est trop peu précis pour expliquer les phénomènes que nous traversons, plus spécialement la volonté, essentiellement des USA et de leurs alliés - même s’il existe entre eux des contradictions - de dominer le monde, peut-être plus que par le passé, pour s’emparer des ressources qui leur font défaut. L’exemple de la Libye agressée sous la bannière de l’ONU et de l’OTAN par les forces armées de pays occidentaux, n’avait pas pour but de débarrasser son peuple d’une indiscutable dictature mais pour en contrôler ses ressources en hydrocarbures et implanter un point d’appui dans le cadre du projet présomptueux US du « Grand Moyen-Orient ». N’en est-ce pas encore une preuve concrète ?

J’avais espéré que l’Empire (les USA) n’agresserait jamais la Corée, le Vietnam. Ils sont intervenus dans ce dernier pays à la suite de la France, de la façon la plus violente, la plus inhumaine utilisant les armes les plus modernes, les plus criminelles comme l’agent orange dont les séquelles sont aujourd’hui encore dramatiquement présentes, les plus meurtrières comme le napalm dont les victimes, y compris les enfants, finissaient en torche. Sans omettre le largage de deux bombes atomiques sur le Japon alors que ce pays était en état de reddition et qui firent des centaines de milliers de morts et de blessés irradiés à Hiroshima et Nagasaki. Et aussi, les bombardements US sur Tokyo qui firent 80 000 morts alors que l’Etat nippon était déjà moribond.

Cette étape de l’histoire se prolonge sous d’autres cieux et d’autres formes, parfois avec une égale férocité, peut-être plus grande. J’avais espéré ces dernières années que les guerres annoncées de Yougoslavie, d’Afghanistan, d’Irak, de Libye, de la Côte d’Ivoire ne seraient pas déclenchées. Elles l’ont été sous de fallacieux prétextes. D’autres guerres, comme celle qu’Israël ne cesse de faire au peuple palestinien allant jusqu’à utiliser des bombes au phosphore, des bombes à fragmentation ou au peuple libanais, se poursuivent avec férocité et avec la bénédiction du monde capitaliste et la complicité de la quasi- totalité des pouvoirs monarchiques ou dictatoriaux des pays arabes à l’exemple de ce qui s’est produit à Bahreïn. Et, qui dénonce les agressions sans fin du pouvoir israélien est considéré comme antisémite et non pas comme antisioniste. Quel amalgame !

D’autres guerres sont annoncées contre des pays appartenant, selon le vocabulaire de l’Etat le plus puissant, à « l’axe du mal » ou baptisés « Etats voyous ». Comme la Corée du Nord, comme Cuba, la Syrie, l’Iran est dans leur viseur. Peut-être l’impérialisme US y ajoutera d’autres nations comme le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua et, pourquoi pas, l’un de ces jours, l’Algérie ? …

Israël, seule « grande démocratie » du Moyen-Orient, dit-on, n’entrerait-il dans aucune de ces catégories alors qu’il a agressé et continue de s’accaparer des territoires qui ne lui appartiennent pas, d’attaquer avec la plus inouïe violence la Palestine ou ce qu’il en reste, le Liban et la Syrie et que le pouvoir est entre les mains de l’ultra-droite ? J’ai longtemps espéré que le peuple palestinien récupérerait bientôt ses territoires annexés par son récent et puissant voisin et obtiendrait son indépendance. Après tant d’années de malheurs, il est aujourd’hui prisonnier de la politique réactionnaire la plus extrême qui soit de cet Etat soutenu par les US, ses alliés occidentaux et moyen-orientaux et d’une « Autorité » qui, de concession en concession, s’est montrée souvent bien clémente à son égard.

Pour les besoins de la propagande anticommuniste, le mur de Berlin avait été qualifié de « mur de la honte », sans jamais expliquer les raisons de sa construction.
Comment appeler le mur érigé par les Etats-Unis, celui qui fait frontière avec le Mexique, ce mur qui a déjà causé des milliers de morts et dont presque personne ne fait état ? Comment qualifier celui construit par Israël qui découpe encore plus la Palestine et réduit ce pays à des parcelles de terres pauvres éparpillées de-ci de-là, celui érigé par le Maroc au Sahara occidental, celui monté par la Turquie qui coupe
Chypre en deux entités ?

Peut-on nier que l’impérialisme porte en lui l’agressivité, la violence, la mort ?
Cependant, les raisons d’espérer sont immenses, la preuve en est que les peuples d’Amérique Latine, après la courageuse Cuba, se soulèvent les uns après les autres contre l’hégémonie de l’impérialisme US, de ses multinationales et ses institutions dont le FMI et I’OMC, souvent dirigées par des socio-démocrates ou encore la Banque mondiale. Les soulèvements des peuples, tunisien, égyptien et d’autres à travers l’Afrique du Nord, le Moyen Orient sont aussi la démonstration récente de l’aspiration de ces peuples à vivre mieux dans leur pays.

Pour ma part, dois-je le préciser, en ces temps d’anticommunisme facile, qui ne laissent place à la réflexion, en ces temps d’assauts de tout type et d’agressions militaires pour le seul profit, je ressens le même fort ressentiment que j’ai éprouvé depuis ma prime jeunesse pour ce système. Celui qui, de nos jours, d’une manière ou d’une autre, sous les prétextes les plus perfides, allant de celui des « droits de l’homme », de la « démocratie », du droit d’ingérence à celui du « devoir d’ingérence » préconisés par le « socialiste » Bernard Kouchner, de la « sauvegarde de la démocratie », de la « guerre préventive » à ceux de la lutte trompeuse contre le terrorisme, ne cesse d’intervenir partout et encore et toujours. Soulignons au passage combien il est étrange que tous les moyens techniques modernes de détection n’aient pas permis durant longtemps la localisation, l’arrestation et pour finir l’assassinat - les morts ne parlent pas, dit-on - de Ben Laden qui fut un temps un des agents de la CIA et l’allié de l’impérialisme US.

Ce régime impérialiste se perpétue en affamant jusqu’à la mort des centaines de millions d’enfants, de femmes, de vieillards et d’hommes à travers la planète, tragédie qui s’aggrave avec les monocultures pour l’obtention d’agro-carburants au détriment de l’ agriculture vivrière, mais au profit de l’agro-industrie aux mains des gros propriétaires locaux ou des multinationales.
Ce système, en plus de ses interventions militaires, sévit à travers les injonctions des institutions qu’il s’est données : le FMI, la Banque mondiale, l’OMC et d’autres instruments comme l’ONU. Avec, le plus souvent, la complicité des pouvoirs locaux installés par le monde impérialiste, par exemple dans presque tous les pays africains. Il est vrai, je me répète, que ce stade suprême du capitalisme, comme disait Lénine, que certains en Russie ont tenté, sans succès, de sortir de son mausolée, ne saurait durer ad vitam aeternam !

Les événements dramatiques, souvent terrifiants, les petits faits, beaucoup d’une grande banalité mais indissociables de la vérité, relatés dans ces pages sont peu de choses et peuvent paraître réducteurs auprès de l’étendue tragique de ce que nombre d’Algériens - même non engagés dans le combat national - ont pu connaître avant et durant la guerre d’Algérie. En fait, depuis la conquête de ce pays par les colonialistes français en 1830.

Je dois d’avoir écrit ce récit à l’insistance de mon fils, Pablo, à mes amis dont Lucien Hanoun l’un de mes codétenus, à Fabienne, la fille de mon camarade et cher ami Georges Torrès aujourd’hui décédé, à Fernand Gallinari, ce camarade que j’ai connu enfant et d’autres qui m’ont demandé de ne plus rester silencieux, de faire l’effort d’écrire. Tant, y compris parmi ceux cités dans cet ouvrage, s’en sont allés sans laisser de traces écrites, à l’instar de nos chers Larbi Bouhali, Paul Caballero et de nombreux militants ; à l’exception de Abdelhamid Benzine qui a écrit et Lakhdar Kaïdi qui s’est confié peu de temps avant sa disparition dans un entretien accordé à Nasser Djabi, enseignant-sociologue à l’ université d’ Alger. De Henri Alleg, bien sûr, qui s’est livré dans « Mémoire algérienne » et dans un film de Lledo pour nous apprendre ce qu’a été son parcours digne et exemplaire ou encore Mohamed Sahnoun qui fut l’un de nos malheureux compagnons torturé et séquestré de la villa Sesini. Beaucoup d’ entre eux ont milité jusqu’à leur dernier souffle sans pouvoir prendre le temps de dire, de témoigner. D’autres, atteints par les dégâts de l’âge ou la maladie, n’ont pu nous transmettre ce qu’ils ont vécu, nous faire connaître leurs souffrances ou leurs expériences si riches. Ce fut le cas de Jacques Salort, un homme exemplaire de modestie, d’ardeur au travail et de dévouement à son parti et à la cause nationale. Il fut trois fois arrêté, trois fois torturé : la première durant la période de Vichy pour s’être opposé au fascisme- il n’avait alors que 19 ou 20 ans - la seconde pour son combat aux côtés des patriotes durant la guerre d’Algérie, la dernière, quelques années à peine après l’indépendance, pour sa lutte en faveur de la démocratie, cette fois, par des autorités du pays, le sien, pour lequel il avait consenti les plus grands sacrifices et contribué à sa libération. D’autres, encore, des centaines de milliers, parce qu’illettrés ou trop marqués par les souffrances subies, certains aussi par discrétion ou modestie n’ont laissé aucune ligne sur les épreuves traversées.

Sans prétendre combler un vide, la volonté de l’auteur de ces lignes, est d’évoquer, en évitant tout épanchement narcissique ou émotionnel, de décrire simplement, hélas partiellement ce que fut pour lui le système colonialiste et la guerre, la réalité, également partielle, telle qu’elle se présentait. Cela en raison même du caractère du type de colonisation de peuplement et de ségrégation qui tentait de nous éloigner de cette réalité pour que nous l’ignorions.
L’Algérie à laquelle nous étions et sommes toujours si profondément attachés - chacun y avait, y a ses raisons - ce pays, son peuple avec son mouvement national et populaire était, du moins pendant une longue période, quasi inconnu des citadins européens de Bab El Oued et d’ailleurs -je cite ce faubourg parce que j’y suis né et que j’y ai longtemps vécu. Ils se tinrent – sans doute les plus humbles, n’avaient-ils pas les moyens de se déplacer à l’intérieur du pays- inconsciemment, par méconnaissance, par indifférence, parfois intentionnellement ou par mépris, à l’ écart du feu qui couvait. Lorsque nous abordions la « Question algérienne », un grand nombre d’ entre eux haussaient les épaules et tournaient la tête comme s’ils ne se sentaient pas concernés, ne comprenant pas ou ayant peur de comprendre la signification historique du vaste mouvement qu’ils ignoraient ou voulaient ignorer. Cette méconnaissance des réalités était entretenue par les médias au service des grands bourgeois, des gros et richissimes colons, propriétaires des terres les plus fertiles, de mines, des banquiers et autres bénéficiaires du système qui les protégeait et que le pouvoir colonial a maintenu, avec l’appui des partis de droite. Certes ! Mais, aussi avec l’aide des diverses mouvances de la social-démocratie ou radical-socialiste.

Faut-il rappeler que Mendès-France était président du Conseil le 1er Novembre 1954, François Mitterrand, ministre de l’Intérieur en 1954-1955 puis ministre de la Justice en 1956-1957, lorsque la torture fut institutionnalisée avec la bénédiction, l’appui et l’encouragement du social-démocrate Guy Mollet, chef du gouvernement ? Faut-il évoquer le rôle ignoble tenu par Jacques Soustelle Gouverneur général de l’Algérie et par celui qui lui a succédé, l’homme du prétendu « dernier quart d’heure », slogan répété à satiété, le sinistre Ministre Résident Robert Lacoste, lui aussi membre de la SFIO, Section française de l’Internationale ouvrière (sic) ? Au premier, on a attribué à tort le dessein de rétablir la paix au Vietnam, alors qu’elle a été le fruit du combat courageux, héroïque du peuple de ce pays. Un peuple de génie qui a bénéficié de la solidarité internationale et savait, signalons-le, avec des tiges de bambou acérées confectionner des pièges capables de transpercer les pataugas des soldats ennemis et fabriquer d’autres armes. Qui peut oublier la dernière, l’immense et terrible bataille qui s’est déroulée sous la colonisation française, celle de Diên Biên Phu, celle qui sonna son glas de la domination sous la direction géniale de l’indomptable général Giap et la fuite éperdue des GI à Saigon, aujourd’hui Hô Chi Minh ville ? Fuite honteuse d’innombrables GI pris de panique après une guerre atroce qui avait réellement débuté en décembre 1961 qui fit des millions de morts encore plus de blessés.

Quant aux accords avec Bourguiba [2], le leader nationaliste tunisien, ils étaient inévitables, comme ceux, après de multiples tentatives pour conserver ce pays, passés avec le roi du Maroc, Mohamed V, favorable à l’indépendance de ce protectorat.
Jamais, au sortir des terribles affrontements d’Indochine, l’impérialisme français, déjà affaibli par la deuxième guerre mondiale, n’aurait été en mesure de faire face au combat simultané des trois peuples du Maghreb et d’autres colonies qui auraient inévitablement suivi.

Il y eut aussi le général de Gaulle auquel l’on a attribué un rôle historique dans la paix en Algérie. On ne peut le nier, mais à quel prix ? En réalité, sous son règne la guerre s’est poursuivie plus longtemps encore que sous ceux qui l’avaient précédé et la violence de la répression n’a pas été moindre. Qui ne se souvient d’un préfet nommé Papon, ancien collaborateur des nazis, d’octobre 1961 à Paris quand des centaines d’Algériens matraqués, furent jetés dans la Seine, de la station de métro Charonne où furent massacrés des Français qui manifestaient leur solidarité avec le peuple algérien ? N’est-ce pas de Gaulle qui l’avait désigné à ce poste ? C’est contraint et forcé en raison de la résistance armée du peuple algérien, de problèmes économiques et financiers insolubles et de la pression de l’opinion publique algérienne avant tout, française et internationale que de Gaulle a dû accepter, malgré ses réticences, de négocier avec le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) ; en tentant cependant de conserver le Sahara pour sa situation géostratégique et ses ressources en hydrocarbures, d’autres richesses. Et, dernière manœuvre, la tentative d’installer un gouvernement plus ou moins à sa botte, celui d’Abderrahmane Farès sous le prétexte d’organiser le référendum. Il n’y a pas réussi comme dans les anciennes colonies françaises d’Afrique où il a pu placer des hommes à lui, sauf en Guinée où Sekou Touré a eu le courage politique de dire non à sa politique néocolonialiste.

Tous ces messieurs, et bien d’autres avec leurs vocables dérisoires, niais et mensongers, voyaient ou feignaient de voir cette Algérie, dont la majorité des habitants se mouraient de misère, comme une contrée qui ne devait présenter aucun intérêt pour son propre peuple, une insignifiance, de manière à ce qu’il se sente toujours plus étranger dans son propre pays. Ce qu’il ressentait fortement mais n’acceptait plus !

En effet, pour ces messieurs de la colonisation, ce territoire devait être perçu comme un lieu où ses habitants d’origine arabo-berbère [3] n’avaient aucun droit, pas même celui d’exister. Cependant, les Algériennes et les Algériens avaient conscience d’être, en quelque sorte, exilés dans les prétendus départements d’outre-Méditerranée d’un pays nommé France. Pour le système en place, qui rêvait de diviser le peuple pour briser le sentiment national, il fallait mille manipulations, mille mensonges, attribuer des qualités aux uns et des tares aux autres, par exemple celui de considérer « Le Kabyle comme un homme des montagnes, intelligent, franc et rude à la tâche et l’Arabe comme paresseux, voleur, fourbe, traître et dissimulateur ! »
Le capitaine A et Yvon de Saint-Gouric font dire à l’un des personnages de leur livre « Mektoub » [4] : « S’il fallait élever une statue au mensonge, il faudrait la revêtir d’un burnous ». Et d’ajouter, s’adressant à une jeune française éprise d’un Algérien, acte de folie extrême : « A la seule pensée que ton corps pourrait être touché par celui d’un Arabe, j’éprouve la répulsion qu’on ressent au frôlement d’un crapaud » et de poursuivre « Pourquoi faut-il qu’une terre semblable soit habitée par une telle race ? »
Ce genre d’assertions outrageantes, méprisantes, injurieuses, pullule sans vergogne dans la littérature coloniale au moins jusque dans les années 1930 et peut-être même plus tard.

Mais cette propagande raciste de bas niveau et ces tentatives de division se sont avérées vaines. L’Algérie a vu presque tous ses enfants arabo-berbères et une fraction d’Européens et de Juifs - malheureusement très réduite- se mobiliser pour libérer Je pays. La désillusion fut grande de ceux qui crurent imposer le silence à ce peuple insoumis, irréductible dans ses aspirations. Sous les frémissements, encore inaudibles, grondait l’orage, il a fini par éclater.

Des hommes de grand courage refusaient de subir plus longtemps l’obscurantisme colonial, le racisme, l’intolérance, la surexploitation, l’immense pauvreté, la faim, la maladie, l’analphabétisme, la répression, l’exil noir dans leur propre pays. En dépit des profondes divergences qui divisaient le mouvement national, ils le firent savoir spectaculairement et avec courage et audace, le 1er novembre 1954, avec une arme foudroyante :

Les rapports algéro-européens et les engagements politiques

De façon rarissime, il est vrai, il y eut des mariages mixtes. Sans doute chez des individus des populations algériennes et européennes ou juives d’origine très modeste ou même petite-bourgeoise, en particulier les travailleurs du bâtiment ou ceux des fabriques de cigarettes. Cependant aussi chez de rares intellectuels. Ailleurs, dans des couches moyennes s’étaient, très exceptionnellement, tissés des liens étroits avec le sentiment, apparu plus tard, lors de la guerre, qu’éprouvent deux individus qui ne communiquent plus ou mal depuis trop longtemps. Les dernières années de la colonisation les séparant davantage, les avaient rendus plus« étrangers » - c’est un euphémisme- l’un à l’autre. Bref, le plus grand nombre, avec la guerre et ses horreurs, finit par éprouver des pulsions de rejet de l’autre, sauf chez les rares couples unis par de solides liens et chez les militants communistes de toutes origines, quelques rares progressistes européens et des nationalistes épargnés par l’ostracisme et le chauvinisme. Pour être juste dans ce domaine, il faut dire que les unions mixtes furent infiniment plus nombreuses dans les milieux de l’émigration algérienne. Un certain nombre de françaises, épouses de militants algériens, ont été solidaires et actives lors du combat libérateur. Elles ont souvent été arrêtées.

Il avait existé, inévitablement, avant novembre 1954, chez les travailleurs des différentes communautés, exploités par les mêmes patrons ou pas, une certaine conscience de classe. Toutefois, l’influence de l’idéologie dominante, s’exacerbant durant la guerre de libération nationale, entraîna la majorité des travailleurs européens et juifs dans la défense de ce qu’ils croyaient être de leur intérêt, c’est-à-dire dans les errements de la prétendue immuabilité du colonialisme. Tandis que - il ne pouvait en être autrement- la conscience du fait national leur échappait, elle s’étendait et se consolidait de plus en plus dans la population arabo-berbère. Malgré des liens - rarement étroits - le racisme injecté durant plus d’un siècle dans les esprits européens avait empoisonné l’écrasante majorité de ceux-ci et leur départ d’Algérie, aussi douloureux fût-il, était une inéluctabilité historique à laquelle ils avaient eux-mêmes contribué par inconscience, par ignorance, par manque de clairvoyance politique, une inexorabilité à laquelle ils ne surent échapper. Rêver d’une large cohabitation, comme certains l’ont cru, et le croient encore aujourd’hui, relevait simplement d’une chimère quand on voulait ne rien savoir du tragique passé colonial.
Ces lignes, en même temps qu’un témoignage, doivent être perçues comme un hommage aux patriotes d’origine arabo-berbère dont l’abnégation et les sacrifices pour la libération nationale furent immenses. Hommage, également, à ces Algériens d’origine juive ou européenne- pas assez nombreux, il est vrai - dont le courage ne fut pas moindre et, aujourd’hui, oubliés de beaucoup d’historiens au sectarisme et à l’anticommunisme méprisables. Il ne s’agit pas, bien évidemment de surestimer le rôle joué par ces Algériens d’origine autre qu’arabo-berbère, mais simplement de ne pas l’ignorer.

Ceux des Européens d’Algérie - et de quelques citoyens français de l’ex-métropole, en particulier des enseignants en poste en Algérie engagés dans la lutte pour la libération par solidarité internationaliste - étaient dans leur immense majorité membres du Parti communiste algérien. Le seul parti à rassembler, singulièrement, dans ses rangs des femmes et des hommes, athées ou croyants, de toutes confessions, de toutes origines. C’est vraisemblablement en raison de leur aspiration au socialisme scientifique que ceux-ci sont oubliés par des historiens algériens et des auteurs étrangers qui se sont penchés sur la guerre de libération nationale. À l’exception d’un petit nombre, tous sont aveuglés par un nationalisme consternant d’ostracisme, de chauvinisme ou d’un anticommunisme encore plus affligeant.

Quelques-uns d’entre eux sont allés jusqu’au dénigrement le plus pernicieux, le plus infamant et le plus indigne en écrivant, par exemple que Maurice Laban, Fernand Yveton, le jeune docteur Counillon, d’autres prétendument marqués de gauchisme auraient déserté le PCA pour rejoindre le FLN-ALN.
En vérité, leur intégration dans le mouvement de libération nationale s’est faite à la suite des accords passés en juillet 1956 entre le PCA et le FLN. Les démarches avaient été initiées, après de multiples et vaines tentatives, par le PCA, conclues avec Abane Ramdane et Youssef Ben Benkhedda pour le FLN et Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjerès pour les communistes. Henri Maillot a lui aussi été insulté [5]. La vérité est qu’il a rejoint le maquis des CDL [6], comme Abdelhamid Gherab, lieutenant déserteur, plusieurs fois condamné à mort, Mustapha Saadoun, dont plusieurs de ses frères furent sauvagement assassinés par des éléments de l’armée française, Belkacem de Cherchell, Maurice Laban et quelques autres originaires de la région - aidés en cela par le docteur Massebœuf de Tenès, Montagné, petit entrepreneur de maçonnerie à Orléansville [7], Myriam Benhaïm, enseignante à Oued Fodda et bien d’autres. Quant à notre camarade Counillon, le jeune docteur de l’Hôpital psychiatrique de Blida, assistant de Frantz Fanon, c’est pareillement à la demande du PCA qu’il a gagné le maquis dans les Aurès où il a malheureusement trouvé la mort. Des dizaines d’autres, toujours à la demande du Parti avaient décidé de créer des maquis dans les zones non encore organisées par l’ALN-FLN. Certains militants du PCA ou sympathisants, comme Pierre Ghenassia de Ténès avaient gagné le maquis dès le début de l’insurrection, suivant en cela les directives de leur parti, par exemple dans les Aurès, dans certaines régions du centre et de l’Ouest - comme Tahar Ghomri et Abdelkader Guerroudj - quand, malheureusement, ils n’étaient pas rejetés ou froidement assassinés par certains chefs nationalistes.

En réalité, le mensonge par omission ou par déformation des faits leur est méthode bien pratique pour éviter de ramener en surface l’existence de l’antagonisme de classes, obstinément réel, présent lui, et les luttes qui en résultent forcément, quoi qu’en pensent les conservateurs de tout poil et quelques auteurs aux excès gauchisants. Car, enfin, en quoi les guerres de libération nationale ne portent-elles pas l’embryon de la lutte de classes présentes et à venir quand les plus opprimés, les
plus exploités se battent contre leurs oppresseurs, même si ce sont des fractions de la petite-bourgeoisie nationale, elles-mêmes victimes du colonialisme, qui déclenchent ou rejoignent ces combats ? Combats qui, l’indépendance acquise, se poursuivent contre certaines de ces couches bourgeoises devenues à leur tour exploiteuses, spéculatives, compradores.

Or, des milliers de communistes européens ou juifs d’origine, femmes et hommes, fraternellement unis à leurs camarades arabo-berbères du PCA, aux centaines de milliers de patriotes issus ou non des partis nationalistes, dans le combat contre le colonialisme, ont connu les pires souffrances au cours de cette guerre de libération nationale qui fut atroce. Quelles que fussent leurs origines, presque tous ont été séquestrés, torturés, emprisonnés ou internés dans des camps. Certains ont été chassés dans l’exil. D’autres ont été exécutés tel Fernand Iveton ou ont trouvé la mort dans les maquis, dans les villes à l’instar de Maurice Audin et de Omar Djeghri assassinés par des soldats français et, d’autres, plus tard par l’OAS ou même par des éléments« incontrôlés » de l’ALN/FLN à l’instar de Baptiste Ripoll et de Jordi.
Certains, encore, des militants communistes arabo-berbères ou européens ont été parfois victimes de l’inavouable et inconcevable haine anticommuniste de quelques chefs de I’ALN qui n’ont pas hésité à les liquider physiquement alors même qu’ils se battaient dans les maquis à leurs côtés. Ce fut notamment le cas de Siméon, de Martinez et Georges Raffini, peut-être aussi du docteur Counillon sans parler des militants communistes d’origine arabo-berbère, comme Laïd Lamrani, avocat au barreau de Batna, membre du Comité central du PCA, nombreux à avoir rejoint le maquis.

N’est-il pas indigne, scandaleux, révoltant, de les ignorer ?

Enfin, comment ne pas se souvenir de ce militant de Bab El Oued, Joseph Roblès qui, venant de subir l’ablation d’un poumon atteint de cancer, sur son lit de convalescent, qu’il ne quittera plus me supplia un soir alors que je lui rendis visite de servir de boîte aux lettres ou de lui confier une autre tâche en fonction de sa santé.

  • Écoute, m’avait-il dit, durant des années j’ai attendu ce jour-là, celui du déclenchement de la guerre de libération nationale et tu voudrais que je reste au lit, comme un corps mort, inutile ? Ce camarade avait été responsable du syndicat de la chaussure puis avait travaillé au service expédition d’Alger républicain, il ne survécut pas à la terrible maladie qui l’emporta quelques mois plus tard. Il faut rappeler que le mouvement syndical algérien, le plus souvent animé par des membres du PCA, avait formé de véritables révolutionnaires d’origines diverses.

En tout cas, les tortures subies, ma séquestration par le 1er REP (Régiment de parachutistes étrangers), l’incarcération dans les prisons d’Alger, mon internement dans les camps de Béni Messous puis celui de Lodi, près des monts de Tibeghine et, pour finir, mon expulsion du territoire algérien par les autorités colonialistes, entre autres expériences pénibles, n’ont fait que confirmer avec force la justesse de la cause à laquelle, au sortir de l’ enfance, j’avais adhéré : la dénonciation du colonialisme, le combat contre ce système et, concrètement, l’ entêtante, l’inéluctable lutte de classes.

Plus tard, la survenue de l’indépendance arrachée dans la douleur et de haute lutte par le peuple algérien, ses efforts pour reconstruire le pays, l’industrialiser du moins jusqu’au décès de Boumediene, dont je ne partageais pas totalement l’idéologie mais approuvais de nombreux points positifs, confirmèrent et renforcèrent davantage la pertinence de mes convictions. Ce sont les facteurs objectifs résultant du développement et de l’évolution de la société humaine qui sont déterminants dans le cours de l’histoire, même si des facteurs subjectifs peuvent en retarder ou en accélérer le processus. À l’instar de mes camarades, j’ai toujours tiré une grande satisfaction, voire un sentiment de fierté d’avoir fait mien ce principe marxiste.

Pierre Cots

in D’un Européen d’Algérie, Le temps des ruptures Ed. L’Harmattan
Extrait


[1Mohamed Sahnoun, diplomate, a décrit le tragique calvaire qui se déroulait à la Villa Sesini dans son livre «  Mémoire blessée  » édité aux Presses de la Renaissance, en 2007.

[2Habib Bourguiba, militant nationaliste tunisien quitta le Destour en 1934 pour fonder le NéoDestour avec un groupe de jeunes militants, comme lui favorables à l’institution d’un État indépendant et laïque.

[3Arabo-berbère : Expression employée par les communistes algériens pour désigner la population autochtone afin d’éviter tout ostracisme envers l’une des deux communautés algériennes, berbérophone et arabophone, classées par l’administration française sous le terme générique d’abord d’ indigène puis de Français musulman. Mots empreints à l’époque d’un paternalisme raciste à peine voilé dans le langage colonialiste. D’autre part, la mixité entre ces deux ethnies était si étendue, en particulier dans les villes, qu’il aurait été discriminatoire à cette époque d’établir une distinction de caractère ethnique dans le combat pour la libération nationale.

[4Mektoub : ouvrage publié en 1923 par les éditions du Mercure Africain, Alger. la concordance de leur action avec les aspirations du peuple.
Cet événement si important pour l’avenir de l’Algérie était attendu. Je savais, comme mes camarades et contrairement aux mensonges véhiculés encore de nos jours, qu’il allait inéluctablement se produire après les combats des peuples, vietnamien, tunisien et marocain. C’était pour nous simplement une question de temps mais une certitude.

[5Lire en annexe la lettre d’Henri Maillot dans laquelle il explique les raisons qui l’ont incité à déserter l’armée française et à gagner le maquis avec les armes récupérées.

[6CDL : organisation armée créée par le PCA.

[7Appelé El Esnam à l’indépendance et, après le séisme d’octobre 1980, Chief.